Toulouse, le 29 août 2023

 

                                    Monsieur le Président de l’Ordre national, cher confrère,

Le motif de ma lettre vous semblera atypique. Je m’en excuse à l’avance. J’ignore si l’Ordre National peut ou non m’aider.

Dans le passé, l’Ordre national m’a manifesté sa bienveillance à deux reprises. La première fois, en 2010, il a accepté, sur dossier, après m’avoir écouté, que je continue ma pratique d’alcoologue et addictologue de ville en tant que psychiatre. Quelques années plus tard, l’Ordre National a clos par un classement sans suite une mise en cause du Conseil Départemental pour une attestation, dont j’avais admis le caractère formellement critiquable. J’ai appris, par hasard et récemment, que je n’avais pas été le seul à faire l’objet de ce genre « d’attention ».

J’essaie de réfléchir aux possibilités qui pourraient faciliter la transmission d’une méthodologie que je sais efficiente dans l’aide à apporter aux personnes en difficulté avec l’alcool. Se pose aussi la question de la pérennité de l’activité. Je maintiens mon activité, à quatre-vingts ans passés, pour ces deux motifs.

La pratique que je fais vivre, avec mon association de réflexion et d’entraide, l’AREA 31, est à l’opposé de celle qui a force de loi depuis la fin des années 80. Nous avions à cette époque, le temps d’une pseudo-consultation nationale, assisté au remplacement d’une alcoologie d’orientation humaniste et pluridisciplinaire par une addictologie alignée sur la gestion des toxicomanies. Cliniquement et socialement parlant, le résultat est désastreux.

J’étais gastro-entérologue et libre d’organiser le soin comme je le croyais bon. J’avais écouté quelques-uns des meilleurs cliniciens et, plus encore, les alcooliques qui avaient pris la mesure de leur dépendance.

J’ai considéré l’alcoologie non comme une sous-spécialité pour des sous-malades, selon l’expression d’un de nos collègues, François Gonnet, mais plutôt comme une surspécialité pour des patients complexes dont l’évolution influence de surcroît celles et ceux qui leur sont liés.

J’ai développé un concept appelé le groupe de parole intégratif qui m’a permis, avec des moyens dérisoires, de donner corps à une pratique innovante et efficiente. Grace à ce groupe que j’anime une fois par semaine, sur la base de référentiels précis, j’ai fait vivre une association d’aidants, accueilli des soignants, formé des étudiants. De nombreux patients ont pris la mesure de leur dépendance et ont développé leur sens critique. Les séjours en cures et postcures ont été réduits, remplacés par des hospitalisations sur 5 jours, également codifiées. L’ambulatoire a été privilégié avec des consultations longues (entretiens de première rencontre, entretiens d’histoire, de suivis). Tout ceci s’est fait au mépris de la rémunération puisque la nomenclature des actes ne le permettait pas, le temps n’étant pas pris en compte. Nous avons refusé d’être paralysés par l’indifférence et l’évolution dominante. Nous avons connu trente ans de pratique passionnante, étayée par sept ou huit ouvrages (Privat, Dunod, érès). Le dernier « Ce que nous apprennent les addictions », publié par Dunod solde les comptes. Son contenu est très explicite et se passe de commentaires, sinon de réflexion.

J’aimerais persister en 2024 pour achever mes efforts de transmission et mes essais de pérennité, tout en réduisant mes activités de consultations de 80% afin d’adoucir la transition pour les patients en cours d’accompagnement et me donner plus de disponibilité. Dois-je cesser toute activité de consultation du jour au lendemain, pour disposer de l’intégrité de ma retraite (bloquée depuis 2010) ? N’existe-t-il pas de dérogation à discuter avec la CPAM, afin d’obtenir un quota limité par semaine ou par mois, sans que ma retraite soit encore amputée d’un tiers ?

L’Ordre peut-il faire pencher la balance en intervenant auprès de la CPAM ? Nous avons de bonnes relations avec les présidents de la CPAM, du Conseil Général ou de la Région, mais cette disposition répond à une autre logique. Une avancée significative serait de mettre au point par contrat un paiement forfaitaire de chaque séance hebdomadaire de groupe. Sans elle, pas de pérennité ni d’effet-modèle à espérer. Chaque réunion exige de 6 à 8 heures de travail. Elle concerne en moyenne plus d’une vingtaine de participants. Le compte-rendu issu d’une prise de note par un tiers participant permet l’accompagnement de dizaines de patients, adhérents de l’association, tout en nourrissant la réflexion générale.

Je suis prêt à venir à Paris pour présenter notre méthode afin de bénéficier de votre compréhension et de votre soutien. Aucune administration de la Santé, à ce jour, en dépit de sollicitations périodiques, ne s’est sentie politiquement concernée, alors que les déserts médicaux s’accroissent et que les alcooliques sont à l’abandon.

En vous remerciant de m’avoir lu jusqu’au bout                 

                                                                                       Dr Henri Gomez