Rationaliser l’offre de soin en alcoologie et en addictologie. Constats et propositions

Constats

− Nous assistons, en parallèle aux bouleversements de tous ordres qui transforment les pays développés, à l’émergence d’un Homo addictus. L’alcool, très présent dès la période pubertaire sur le mode de l’excès, prend le statut de la « dernière drogue » pour un nombre croissant de personnes, si bien que l’avenir des sociétés modernes est lié aux réponses indirectes et directes que ces sociétés apporteront aux conduites addictives.

Les alcooliques évitent le plus longtemps possible de se soigner − c’est une lapalissade −  parce qu’ils préfèrent les conduites d’abus à la consommation modérée, par méconnaissance ou dénégation de leur état, ensuite, par honte et parce qu’ils ne trouvent pas d’interlocuteur ou de solution qui leur convienne, enfin.

Les structures de soin n’accueillent qu’une partie minoritaire de la population concernée. Quand elles le font, c’est très souvent tard et grave.

À côté des addictions sans drogue, la règle aujourd’hui devient la succession de plusieurs addictions aux substances psychoactives (cannabis, tabac, alcool, héroïne, drogues dites « festives » ou hallucinogènes, médicaments psychotropes). Si l’alcoolique traditionnel s’en tient à l’association alcool-tabac, chez les polyaddictés, l’alcool occupe la fonction de drogue légale de substitution ou de complément.

On peut ramener les circonstances de rencontre avec l’alcoolique à 5 situations :

  1. Les urgences : situations souvent éloignées d’une démarche de soin ;
  2. Les personnes soumises à une obligation de soin ;
  3. Les patients souffrant d’une pathologie somatique déterminée par l’alcool ou par l’association alcool-tabac ;
  4. Les malades psychiatriques souffrant d’addictions, dont l’addiction à l’alcool ;
  5. Les démarches orientées ou individuelles.

Dans une optique de Santé publique, l’objectif du soin consiste, au moindre coût social, à supprimer ou à réduire les addictions les plus toxiques pour le lien social et pour la santé physique.

Force est d’admettre que :

  • le soin ne peut se concevoir en s’attaquant d’emblée à toutes les addictions. Les toxicomanies faisant appel aux médicaments de substitution ne sauraient représenter la référence en matière de soin. Ce modèle n’est pas opérant en alcoologie. En matière de résultat, le lien soignant instauré est la meilleure garantie.
  • la séquence relationnelle soignante repose sur trois temps, éventuellement renouvelables : rencontre, création du lien et sevrage, accompagnement ;
  • la démarche et l’investissement des patients supposent un cadre de proximité pérenne et accessible ;
  • le soin doit prendre en compte toutes les composantes de l’addiction : psychopathologiques, psychiatriques, familiales, économiques, sociales, philosophiques et culturelles et, tout autant, si ce n’est plus, les ressources intellectuelles, morales et créatives des patients ;
  • l’implication durable et compétente des soignants est une des conditions majeures des résultats, à côté des évolutions « naturelles » ;
  • il existe un gaspillage indécent de l’argent public en raison de l’absence de prise en compte de ces données, avec notamment un grand nombre « hospitalisations-parkings », de soins qualitativement insuffisants et inadaptés, de prescriptions médicamenteuses inutiles, le tout contribuant à alourdir encore le pronostic d’une problématique déjà grave et difficile en elle-même.

Propositions

1. Rendre la formation en alcoologie et addictologie qualifiante

  • Par un tronc commun, sur un an, comportant plusieurs stages en établissements spécialisés, ouvrant au statut de consultant d’alcoologie pour :
  • Les médecins généralistes volontaires en exercice devenant, par cette formation, référents, avec des rétributions appropriées ;
  • Les étudiants en psychologie clinique et les psychologues en exercice, les sophrologues, les psychomotriciens, les infirmiers susceptibles d’accompagner les patients au sein de structures d’alcoologie et d’addictologie ;
  • Les alcooliques sobres, membres d’association d’entraide.

Ce statut de consultant autoriserait l’accompagnement des patients après les temps d’hospitalisation, avec des garanties de couverture sociale des prestations.

  • Par une qualification de clinicien addictologue, sur la base d’unités de valeur, de trois ans d’étude et d’un mémoire clinique. Cette qualification aboutirait à un statut d’addictologue psychothérapeute, répertorié et identifiable, avec un niveau de rétribution remboursé à taux plein par la Sécurité sociale, sur la base d’un nombre de consultations annuelles déterminé. La possibilité d’équivalence pour les praticiens alcoologues en exercice interviendrait à partir d’un dossier documenté géré par le Conseil National de l’Ordre, comme pour toute autre qualification.

2. Valoriser la consultation de clinicien alcoologue en pratique libérale à un taux de 1,5 par référence à une consultation de psychiatrie (entretiens de première rencontre, entretiens d’histoire, entretiens familiaux, entretiens de psychothérapie).

3. Réduire les durées d’hospitalisation en alcoologie

  • Supprimer les notions administratives de « sevrage simple » et de « sevrage complexe ». Toute hospitalisation devrait être aussi brève et complexe que possible, conditionnée par le lien à construire et l’accompagnement qui le prolonge.
  • Le séjour serait ramené à quinze jours au maximum, à taux plein,  la rétribution des établissements couvrant cette période de façon forfaitaire à un niveau déterminé par les activités psychothérapiques concomitantes.
  • Toute structure doit pouvoir offrir des possibilités de sevrage et d’accompagnement intégralement ambulatoire.
  • Au-delà d’un mois d’hospitalisation au cours de l’année, toute nouvelle hospitalisation est soumise à une entente préalable.

4. Ouvrir toute structure d’alcoologie à un accompagnement de jour, dans le cadre d’un contrat d’objectifs et de moyens (COM).

Cet accompagnement suppose une période d’essai, relevant d’une aide financière par une mission d’intérêt général, avec évaluation rétrospective.

5. Faciliter le développement d’unités d’alcoologie assurant l’accompagnement au sein des établissements accueillant des pathologies somatiques dans le cadre d’un COM.
 
6. Définir, dans le cadre des COM,  l’équipe soignante minimale nécessaire, pour assurer qualité et continuité, et la financer en conséquence. Prendre en compte le temps de soin effectif, qui inclut l’investissement des intervenants associatifs attachés à la structure.
 
7. Généraliser la pratique des groupes de parole sur le modèle intégratif, sur la base de référentiels de qualité, avec une pluralité de fonctionnement : groupe-école de psychothérapie animé par un alcoologue clinicien, groupe médiateur du lien animé par des soignants, groupe d’intervenants associatifs, supervisée par un soignant.
 
8. Spécifier les pratiques des différents CSAPA et des diverses structures d’activité ambulatoire, selon les conduites addictives prises en charge, avec une traçabilité de leurs activités et de leurs résultats.
 
9. Développer une filière cohérente en médecine libérale praticienne, avec la constitution de médecins généralistes référents, de consultants libéraux de proximité soumis à un accord contractuel, de cliniciens alcoologues et addictologues, également libéraux et rattachés à une unité d’alcoologie..

10. Développer le partenariat associatif avec la mise en place de groupes d’entraide mutuelle (GEM) donnant lieu à des moyens de fonctionnement pérennes et à des formations en grande partie payées par la collectivité. Le label GEM est second par rapport à l’existence d’une association de réflexion et d’entraide. La justification première d’une association comportant des alcooliques sobres et bénévoles est d’être auxiliaire du soin au temps du sevrage et dans les mois qui suivent la démarche de soin.

11. Développer les partenariats utiles avec le secteur social et le secteur associatif, grâce aux fonds attribués aux Groupes d’Entraide Mutuelle, pour aider les patients à sortir du champ thérapeutique.

12. Favoriser la réflexion et la recherche clinique appliquée par les structures de soin, y compris pour les essais thérapeutiques et par la tenue de journées scientifiques.