Les mots pour le dire

 Nous vivons une époque étrange où des mots changent de sens, d’autres sont oubliés ou interdits, d’autres, nord-américains, spécialement liés au commerce et au numérique, ajoutés. Il est toujours possible de se rassurer, avec l’aide de quelques bons verres de whisky, en se disant qu’une langue est toujours vivante, en perpétuelle gestation. Si l’on s’abstient de whisky (ou de tout autre moyen de brouiller son discernement), l’impression est moins favorable. Nous risquons alors de partager l’opinion argumentée de Madame Fatiha Boudjahlat dans « Le grand détournement ». Cette auteure cite Jean Pouillon : « Les mots, souvent vivent à l’inverse des serpents, ils changent non de peau mais de contenu ». Des exemples ?

Le terme de problématique alcoolique est de très loin le plus approprié pour définir les difficultés rencontrées par les personnes ne sachant plus contrôler leur consommation d’alcool et cela à tous les moments de leur parcours. L’expression permet de se pencher sur les différents facteurs qui ont pu concourir à la mise en place de la perte de contrôle ou de la dépendance. Elle replace l’histoire avec l’alcool dans les différentes temporalités rencontrées par le sujet : avant même le premier verre, à la phase ‘‘initiatique’’, au stade des préjudices avec leurs conséquences sur le psychisme, le dynamisme personnel, les relations familiales, l’insertion professionnelle et sociale. Le terme couvre également la période du soin, avec ses errements et ses progrès. Elle continue le reste de la vie car ne pas boire d’alcool reste une particularité relative dans un environnement où l’alcool accompagne la plupart des rites sociaux. La mise à l’écart de cette expression paradigmatique est pourtant à l’origine de beaucoup d’erreurs. Elle empêche une vision large et dissociée dans le temps. Elle ferme la pensée à de nombreuses grilles de lecture si précieuses pourtant dans l’aide à apporter aux personnes en difficulté avec l’alcool comme la psychanalyse, la sociologie ou la philosophie.

Á un autre niveau, d’autres mots, comme par exemple celui de « thérapie » deviennent des mots ‘‘tartes à la crème’’. Nous pourrions être tentés de croire qu’il suffit de rencontrer un ‘‘thérapeute’’, autoproclamé ou certifié, pour que, comme par magie, en quelques séances, le manque d’équilibre ‘‘émotionnel’’, l’absence de relation affective satisfaisante et d’éthique, la perte ou la crispation identitaire, l’absence de sécurité économique ou de perspectives d’avenir puissent s’effacer.

La novlangue qui s’est mise en place traduit plus que jamais la violence camouflée des rapports sociaux, l’effacement de l’esprit critique et de la volonté de réagir face à un Parti unique politiquement très correct, celui de l’Argent.

Au fond, le choix est simple : whisky ou discernement, isolement ou lien social.

La soirée de discussion du 16 avril, à L’espace Diversité laïcité permettra de réfléchir à une source possible de confusion, avec les ‘‘pièges de l’empathie’’.