« Les médecins doivent rester les maîtres d’œuvre »

 

Tel est le titre d’un article de la Dépêche du Midi du 30 juillet 2018, relatant une interview du docteur Jean Thévenot, vice-président du Conseil Régional de l’Ordre des médecins. Le docteur Thévenot réagit à un rapport évoquant la perspective d’« établissements de santé communautaires ». Il oppose à cette orientation trois divergences que je me propose de commenter pour la pratique psy-alcoologique de ville.

La première est celle des ressources financières. Il n’est pas possible d’effectuer indéfiniment du bon travail en manquant d’argent et de professionnels. En second lieu, le fait que la nomenclature des actes ouvrant à une couverture sociale soit totalement inadaptée à une pratique alcoologique efficiente, ne signifie pas que la liberté du soin doive être soumise au pouvoir discrétionnaire d’une administration, fut-elle associative. Mon confrère souligne : « Les médecins doivent devenir les maitres de leurs projets médicaux et non les subir. Ils doivent rester les maitres d’œuvre ». Il continue par un vœu qui devrait cesser d’être pieux : « La priorité de la politique de santé devrait libérer les médecins des taches administratives pour qu’ils puissent se consacrer au soin et aux patients en confiant la gestion des papiers aux secrétariats ou aux structures administratives. Bref redonner du temps médical aux soignants ». Le fait que les actes professionnels les plus profitables ne soient pas reconnus et soumis à remboursement contraint les professionnels à dépenser du temps et une énergie folle à rédiger des dossiers de demande de subvention, la forme l’emportant sur le fond. Les Pouvoirs publics s’interdisent la méthode la plus simple et efficace pour aboutir : se mettre autour d’une table, dialoguer, chiffrer et, ensuite, rédiger le document contractuel.

Un paragraphe de l’interview concerne le recrutement des futurs médecins. Le docteur Thévenot ajoute, à propos de la pénurie extensive des praticiens que « le recrutement des médecins étrangers est un pansement que l’on met sur une plaie ouverte ». Ces considérations se vérifient avec une cruauté particulière en alcoologie clinique. Seules des consultations longues et complexes prolongées par une implication personnelle du professionnel au sein de groupes que nous avons appelés ‘‘intégratifs’’ pourraient constituer un commencement de réponse au désert actuel de l’accompagnement psy-alcoologique en médecine de ville.

Sous-payer ou ne pas payer des actes nécessaires, imposer un sous-effectif, faire appel à des professionnels insuffisamment qualifiés, faire négliger le cœur de métier au bénéfice de tâches qui n’ont rien à voir avec ce métier placent les médecins des disciplines les plus ingrates – dont la médecine générale – dans une situation proche du burn out et de l’écœurement. La conscience professionnelle et la passion du métier ne survivront pas à cette maltraitance.

 

La priorité de la période est de savoir comment transmettre ce que nous estimons efficient dans l’aide à apporter aux personnes en difficulté avec l’alcool et de faire en sorte que la recherche clinique appliquée continue. Nous avons à rédiger, dans le contexte d’une nouvelle tentative d’aboutissement, une lettre d’intention à l’intention des Pouvoirs publics – a priori plus ouverts que par le passé – pour leur exprimer ce que nous sommes capables de transmettre et de quelle manière, sous réserve de disposer des moyens adéquats. Nous verrons bien. La pérennité et l’effet-modèle sont en jeu. Ce que nous proposons pourrait être repris par des cabinets de groupe libéraux, y compris de psychiatres, en ville, avec psychologues, psychothérapeutes et aidants bénévoles. Ce modèle pourrait être repris dans des structures hospitalières publiques.

Nous vérifions, aujourd’hui, plus que jamais, la justesse terrible de l’adage : « A ne pas avoir les moyens de son ambition, on finit par avoir l’ambition de ses moyens ».

Dans l’attente de cette nouvelle tentative de « solution du problème » et jusqu’à la prochaine assemblée générale de l’AREA-C3A à la mi-septembre, nous allons rejoindre nos quartiers d’estive, lire, écrire et découvrir de bons films dans l’attente de la reprise. Les activités propres à l’AREA seront suspendues d’ici là.

Bel été !

Henri Gomez