Réalisation : Ken Loach

Scénario : Paul Laverty

Date : 2016 / GB - France

Durée : 100 mn

Acteurs principaux : Dave Johns (Daniel Blake), Hayley Squires (Katie), Briana Shann (Daisy, fille de Katie), Dylan Mc Kiernan (Dylan, le fils de Katie), Nathalie Ann Jamieson (l’employée du Jobcenter), Micky Mc Gregor (Yvan, le surveillant de la superette)

SA / HA

Mots clés : Bureaucratie – Numérique – Précarité – Refusant− Solidarité

 

Daniel Blake est un ouvrier menuisier de presque 60 ans. Il est confronté à deux contraintes inconciliables : retrouver un nouvel emploi, attendre d’être suffisamment remis d’un problème cardiaque pour avoir une chance d’assurer effectivement ce travail. Pour la première fois de sa vie, il a demandé une aide financière auprès de la Société d’Assurance rattachée à son entreprise. Contre toute logique, son dossier a été rejeté. Blake a été jugé apte, en dépit de l’avis de ses médecins ! Le recours promet d’être très long. Le voilà sans ressources, avec l’obligation supplémentaire de souscrire aux diverses exigences du Pôle Emploi britannique, le Jobcenter. Notre ouvrier, si habile de ses mains, se trouve brutalement confronté à l’ordinateur dont il ignore le maniement. Des demandeurs d’emploi plus jeunes l’aident, tout comme une des salariées du job center. Blake se heurte quand même aux bugs et à la durée limitée pour cocher les items qu’il fait défiler. C’est ainsi qu’il est possible de passer d’un savoir faire professionnel à la précarité numérique. En face à face, la relation n’est pas meilleure. Blake doit essuyer les menaces d’un cerbère en jupe qui le menace des pires sanctions s’il ne présente pas un CV aux normes de l’écran et s’il n’apporte pas la preuve qu’il a démarché suffisamment d’employeurs dans l’intervalle de deux versements de ses indemnités. C’est au sein de ce lieu de désarroi et d’humiliation publique, que Blake découvre une jeune femme, Katie, avec ses deux jeunes enfants, une fillette, nommée Daisy et un garçon encore plus jeune, passablement agité, Dylan, nés de deux pères différents. A elle aussi, l’aide dont elle devrait bénéficier a été administrativement refusée : elle a eu le tort de changer de ville pour trouver un loyer moins cher.

Vous pouvez penser : c’est du Zola à la mode Thatcher ou à la sauce Ken Loach. Certainement, sauf que c’est ce que nous voyons quotidiennement dans nos consultations. Les spectateurs découvriront ce film qui n’entrera sans doute pas dans les préférences des élites.

L’enfer au quotidien

En quoi Moi, Daniel Blake concerne t­-il la population alcoolique ? La misère sociale peut, certes, se développer indépendament de tout problème d’addiction, comme dans cette histoire. Cependant, l’alcoolisme et certaines toxicomanies accélèrent énormément le processus de glissement.

Une des principales menaces à la dignité des humains est représentée, de nos jours, par les agissements d’une bureaucratie aux ordres de la loi du profit et du chacun-pour-soi. Se distinguent ceux qui sont du bon côté de la barrière, conformes, disciplinés et sans état d’âme, et les autres, forcément suspects de paresse, de prodigalité et de détournement de l’argent des contribuables. Nous retrouvons cette logique de défiance, de mépris et d’indifférence dans nos relations avec les Pouvoirs publics, pour l’alcoologie, sous une forme atténuée, mais cependant très prégnante.

L’agence du Jobcenter fréquentée par Blake, Katie et tant d’autres, accueille des salariés capables d’une discrète sollicitude. Il nous est arrivé d’en rencontrer. S’ils sont pris en flagrant délit de bienveillance, c’est aussitôt pour se faire réprimander : des cadres assistés d’hommes en chemises blanches et cravates veillent à la soumission du troupeau des demandeurs d’emploi. La hiérarchie est bien en place pour maintenir cette soumission. Le rôle assigné aux alcooliques est du même ordre : qu’ils s’écrasent, honteux, qu’ils ne fassent pas d’histoires et encore moins d’esclandres, qu’ils ne s’avisent pas de se prendre pour des citoyens en réclamant des soins correspondant à leurs besoins ou en dénonçant la connivence objective de l’Etat et des alcooliers. Peu avant la fin, Blake écrit sa colère sur un mur avec une bombe à peinture. Les applaudissement de la foule s’effacent à l’arrivée de la voiture de police. Serait-il pertinent qu’une association proteste à la façon de cet exclu ? Ce type de protestation abonderait dans le sens de cette culture de la gesticulation médiatique et du buzz.

Même s’ils apportent un réel soulagement, les actes d’amitié et de solidarité, bien présents dans l’histoire mais aussi dans le petit monde de l’alcoologie associative, sont insuffisants pour changer la donne. Dans une période où les instances représentatives − partis politiques et syndicats − apparaissent pathétiquement déconnectés des réalités, il appartient à chacun, comme Daniel Blake, de se rappeler qu’ils sont aussi des citoyens. Ils ont la liberté de se constituer en « refusants », selon le terme proposé par Philippe Breton, dans son ouvrage éponyme. Il leur est possible, collectivement, de remettre en cause une soumission qui les détruit et qu’ils ont pourtant intégré, ne serait-ce qu’en choisissant l’alcool comme boisson. Les refusants de cette histoire finissent par se retrouver dans la salle prévue pour la célébration des défunts. Triste consolation !

Dans notre pays, il existe encore la possibilité de mutualiser des ressources en utilisant celles, légales, de l’association d’utilité générale. Le cadre juridique permet d’assurer un financement par la défiscalisation d’une partie des cotisations ou par les dons. Les soignants peuvent participer eux-mêmes au financement de l’outil collectif, tout en mettant les Pouvoirs publics, les Mutuelles et les Assurances face à leur responsabilités pour assurer un soin choisi par ceux qui en relèvent. Il existe des réponses concrètes au naufrage social en refusant l’esprit de soumission. Refuser de faire son propre malheur exige d’abandonner sa position de victime et de consommateur en adoptant une logique de refusants organisés, reconvertis en résistants pacifiques.

 

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