Réalisation : Jean-Pierre Melville

Scenario : Jean-Pierre Melville, d’après le roman de Béatrix Beck

Date : 1961 / France

Durée : 130mn

Acteurs principaux : Jean-Paul Belmondo (Léon Morin) , Emmanuelle Riva (Barny) , Irène Tunc (Christine) , Sabine Levy (Nicole Mirel), Marco Behar (Edelman)

SA/HA

 Mots clés :  Foi – Désir – Femme – Perversion - Guerre

Une nouvelle version cinématographique (La confession de Nicolas Boukhrief) du roman de Béatrix Beck, qui reçut le prix Goncourt pour ce roman, est visible. Elle donne l’occasion de se replonger dans le film de Jean-Pierre Melville, en portant sur lui un autre regard, celui d’un soignant confronté à la « perversion d’objet ».

Barny est la veuve, d’origine catholique, d’un juif communiste tué peu auparavant. Elle s’est réfugiée dans une petite ville du sud-est de la France, encore préservée, au début du récit, de l’occupation allemande. La ville est fréquentée par des soldats italiens, avec leur drôle de chapeau et leur curieuse façon de marcher en cadence. Barny corrige des copies de français au sein d’une petite entreprise qui s’est montée pour participer à la formation scolaire par correspondance.

En révolte intérieure, elle décide d’aller provoquer en confession, alors qu’elle est devenue incroyante, un abbé choisi au hasard. Elle est déconcertée par les réponses que lui donne son jeune confesseur, Léon Morin. Une relation à caractère amical se développe au fil des échanges. Un double effet survient. Barny tombe amoureuse du prêtre, tout en se convertissant à la foi chrétienne. Pendant ce temps, la guerre continue. Les soldats allemands remplacent les italiens. L’histoire finira avec l’arrivée des libérateurs états-uniens.

Foi et perversion d’objet

En 1961, les échos de la seconde guerre mondiale commencent à se dissiper. Le débat public est très politisé. Nous sommes au temps de la Guerre froide. Le parti communiste est alors un parti très structuré, largement implanté dans la classe ouvrière. Son influence domine dans les milieux intellectuels. Parallèlement, l’Eglise Catholique cherche à renouveler son discours. Elle ressent la nécessité de s’adapter au monde moderne. Nous sommes à la veille de Vatican II, initié par le pape Jean XXIII. Le dialogue avec les protestants et les incroyants est encouragé. L’histoire en noir et blanc, mise en scène avec sobriété par Melville, rend compte de cette période, y compris par le type d’habitat qui accueille les différents dialogues. Nous sommes dans une toute petite ville française, avant le confort de la modernité.

Le film est également daté par le caractère suranné des affrontements idéologiques entre croyants et athées.

Il y a belle lurette que le régime communiste ne fait plus rêver. Il a, en revanche, présenté le grand intérêt d’un modèle de système totalitaire, organisation de la société qui sert aujourd’hui de référence, bien que sous des aspects apparemment très différents, à nos sociétés postmodernes.

Il n’en est pas de même pour la foi, phénomène résistant à l’épreuve des connaissances scientifiques, de la rationalité et de notre ‘‘matérialisme historique’’ sans espérance. Comme l’expriment, chacun à sa manière, Léon Morin et Barny, la foi leur est ‘‘tombée dessus’’, aussi inexplicablement que le terme mis à une consommation d’alcool chez le dépendant, si toutefois un tel rapprochement peut s’accepter. La foi en un autre possible peut se manifester, contre toute logique et s’imposer comme une évidence. Le choix de la sobriété passe également par des chemins obscurs.

Morin parle de résistance à la grâce et du travail de la grâce, qualités évangéliques. Nous pouvons évoquer les ‘‘résistances’’ de la part alcoolique de la personnalité et, le ‘‘travail’’ invisible de la part de soi en recherche de liberté, cette évolution souterraine qui conduit à poser, un jour, un acte important pour donner sens à notre vie. Nous ne sommes pas si loin de la spiritualité exprimée par l’abbé. Nous n’irons pas plus loin sur cette question qui manifeste, à nos yeux, la quête d’un sens, face à une vie bornée entre la naissance et la mort, avec un entredeux peu emballant.

Si nous nous accordons pour admettre les règles de conduite de l’époque, toujours en cours dans la religion catholique - le célibat des prêtres et l’absence de sexualité de couple- l’attitude de Barny est transgressive. En mélangeant les affinités spirituelles et le désir physique, elle investit l’objet-prêtre de façon perverse. Elle fait erreur sur la relation d’objet. Léon Morin n’a pas plus vocation à remplacer son défunt époux dans son lit qu’il n’a à se substituer à ce dernier comme équivalent paternel pour sa fillette. Barny est normalement humaine par son ambivalence. Le jeune abbé l’est tout autant. Son désir de favoriser la conversion de Barny, en respectant sa liberté, n’est pas séparable du plaisir qu’il éprouve en sa compagnie. Cette situation n’est pas sans évoquer la relation thérapeutique avec ses transferts et ses contre-transferts.

Avec nos critères d’appréciation actuels, nous pourrions estimer que Barny et le jeune prêtre sont parfaitement sains de corps et d’esprit, éminemment aimables et respectables. Toute aussi respectable est la personne alcoolique ou addictée dans sa « perversion d’objet » qui constitue sa relation à l’objet-alcool. Il n’y a aucune connotation morale dans ce terme psychanalytique. Dans toute relation, le sujet se réfère à un objet, quelqu’un ou quelque chose qui n’est pas soi. Autrement dit, un sujet a l’autre comme objet et réciproquement. La perversion d’objet peut véhiculer de la confusion si l’objet est détourné de son usage ou surinvesti. Ce n’est pas le cas avec Dieu, par définition investi de tous les pouvoirs, y compris celui de respecter notre liberté. C’est, en revanche, le cas de l’alcool, au-delà de ses effets pharmacologiques. Boire de l’alcool est à l’évidence surinvesti dans la société, le soubassement mercantile étant l’équivalent au plan collectif de l’effet pharmacologique pour l’individu.

La perversion de l’objet alcool, consommé alors qu’il est synonyme de destruction du lien et de soi est exemplaire d’autres formes, plus récentes, de perversion d’objet. Il suffit de considérer le temps que passent nos concitoyens sur internet, en dehors de ce qui est nécessaire à leur usage professionnel ou utilitaire. Ainsi dans le n°196 de la revue Santé Mentale de mars 2015 consacré à « l’Addiction sexuelle », un article, signé par des auteurs aussi reconnus que Laurent Kalila, François Deroche et Marie de Noailles, précise : « 10% d’une série de 7588 sujets français passeraient au moins onze heures par semaine sur des sites à caractère sexuel ».

La perversion d’objet est également en marche avec les robots humanoïdes. Elle se vérifie dans la distorsion opérée entre la rétribution du travail et celle des actionnaires, ou entre l’image et la réalité. Nous pourrions la retrouver dans le rapport au politique quand le débat nécessaire est occulté par des petits événements distillés. En comparaison, Barny est très rassurante : la soutane ne l’empêche pas d’apprécier physiquement et intellectuellement un homme, tout comme elle repousse les avances insistantes d’un soldat américain.

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