Réalisation: Jo Wright

 Scénario: Anthony McCarten

Date: 207 / GB

Durée: 125mn

Acteurs principaux :

Gary Oldmann : Winston Churchill

Kristin Scott Thomas : Clementine Churchill

Ben Mendelsohn : George VI

Lily James : Elisabeth Layton

Stephen Dillane: Lord Hallifax

Ronald Pickup : Neville Chamberlain

A/SA

Mots-clés : crise – mots – incertitude −  courage – peuple

 

Décidément, Joe Wright sait puiser dans la Littérature et l’Histoire pour nous offrir des moments de pur bonheur, après Orgueils et préjugés, Reviens-moi ou Anna Karénine. Ce commentaire louangeux ne manquera pas de faire tâche s’il est confronté à d’autres propos désobligeants prévisibles, tant l’inspiration du film contredit la Pensée convenue. 

Le scénario se concentre sur les quelques jours du mois de Mai 1940, au cours desquels la Grande-Bretagne s’est retrouvée seule face à la déferlante des forces militaires d’Hitler en Europe occidentale. L’armée britannique et des troupes françaises  – plus de 300 000 hommes – se trouvaient encerclées dans la ‘‘poche de Dunkerque’’. Le futur allié nord-américain n’était pas désireux, même indirectement, de se lancer dans la mêlée. Chaque heure comptait. Á Londres, l’état de deshérence politique, après la capitaluation de Munich, livrant la Tchécoslovaquis aux nazis, avait conduit George VI, faute de mieux, à nommer Winston Churchill, qu’il n’aimait pas, à la tête d’un gouvernement d’union. Les partisans de la négociation-capitulation incarnés par Neville Chamberlain et Lord Halifax, le cousin du Roi, étaient présents dans le cabinet de guerre. Ils ne renonçaient pas à renoncer à se battre face à la menace de l’envahissement imminent de l’Île.

Certains des bien-pensants qui protestent, aujourd’hui, contre les ‘‘déclinologues’’ se seraient sans doute retrouvés dans les rangs des partisans de la négociation par leur aptitude à dénier les réalités.

Le film de Wright est une fresque obscure aux accents patriotiques – une incongruité ringarde pour la pensée hypermoderne  ̶  qui incite à lire ou relire la biographie de Winston Churchill par François Kersaudy (Editions Tallandier).

Á quelles conditions le ‘‘peuple’’ alcoolique pourrait-il écrire son histoire ?

 « Les Heures sombres » autorisent-elles à tirer leçon pour les personnes concernées par la problématique alcoolique ? Il semble que oui et de plusieurs façons.

Churchill, avec ses énormes cigares et son verre de whisky, sa verve et ses écarts de conduite, est le Saint-Patron des alcooliques. Il démontre que l’on peut avoir un rôle déterminant, même quand l’addiction est une compagne aussi indispensable qu’une aimante et humoreuse épouse, fort bien jouée, au passage, par Kristine Scott-Thomas.

Le film incite fortement à ne pas renoncer, même quand la situation semble désespérée. Il s’agit alors de se positionner dans la survie et d’écarter férocement le déni, le sien, avec ses doutes, et celui des autres qui croient impossibles les retournements de situation. Dans cette alternative, ceux qui ne sont pas nos amis deviennent des ennemis. Des Français se lamentent encore aujourd’hui de la destruction de la flotte militaire nationale à Mers-el-Kebir, leur seconde base  près d’Oran. Le choix était pourtant simple : passer sous la coupe des Allemands ou rejoindre les Anglais pour lesquels la maitrise de la mer était la condition vitale d’une résistance efficace. Un peu plus tard, la neutralité de la France occupée s’était soldée par le sabordage de ce qui lui restait comme flotte à Toulon.

Les erreurs passées – pour Churchill, les expéditions malheureuses aux Dardanelles et en Norvège  ̶  ne comptent plus quand il s’agit d’opérer un rétablissement vital. Il est certain que les troubles maniaco-dépressifs et l’alcool pouvaient perturber, par moments, la vision du jeu de cet homme. Il ne manquait pas d’idées extravageantes pour sortir son pays de l’enfermement mortel qui le menaçait. En mobilisant la flottille improvisée des bataux civils de plus de 9 mètres pour rapatrier les soldats britanniques depuis la plage de Dunkerque et, plus précisément de Zuydcoote, popularisée au cinéma par deux films aux accents contrastés*, Winston su transformer un désastre imminent en amorce de redressement : une ‘‘défaite victorieuse’’.

Nous vérifions avec Churchill la force de la parole et le pouvoir des mots que l’on retrouvera avec l’Appel du 18 Juin d’un certain de Gaulle, qui sera, peu après, condamné à mort par Vichy.

La confiance dans les élites doit pouvoir être relativisée en recherchant d’autres avis, émanant de ceux qui seront en première ligne. Le peuple du métro que consulte opportunément Churchill, à la suggestion du Roi, ayant lui-même résisté aux incitations à abandonner le territoire pour celui, protégé, du Canada, évoque les aidants. Consultés, ces derniers donnent une force irrésistible au Vieux Lion, secrètement ‘‘terrifié’’ par la situation. C’est cette force que le soignant va puiser dans les groupes de parole par le dialogue chaleureux instauré. La présence dévouée de sa jeune secrétaire, Elisabeth Linsay, dont le fiancé vient de laisser sa vie en France, apporte de la détente au déroulement de cette séquence historique. C’et elle qui apprend au Premier Ministre, un peu déconnecté, que son V de la Victoire face aux journalistes signifiait par la position de la main comme un « Allez-vous faire foutre ! ». Les grandes luttes ne peuvent s’accomoder d’un investissement tiède. Celui qui écarne et défend un projet minoritaire a besoin de proximité populaire et affective.

Comme cela se vérifie dans toutes les situations critiques réclamant une forte implication, des liens se défont, d’autres évoluent et se nouent.  En somme, « Les Heures sombres » peuvent être transposées aux difficultés et aux voies de résolution de la problématique alcoolique, quand elle atteint un point de non-retour. Une différence de taille entre la résistance anglaise et l’énergie à mobiliser pour doter aux personnes affectées par l’adiction alcoolique des moyens les plus appropriés : le peuple alcoolique n’existe pas comme entité idéologique. Il est trop disqualifié par la honte, trop empêtré dans les méandres de la consommation – y compris modérée  ̶   pour nouer des liens solidaires efficaces face à ses adversaires objectifs et leurs alliés. La partie consciente de la population alcoolique a, pourtant, ce qu’il faut pour résister : de grandes figures de l’Histoire et de l’Art : quelques lieux associatifs ; des personnes intelligentes capables de dépasser l’individualisme ; des faux-amis mortels.

 

*Week-end à Zuydcoote d’Henri Verneuil (1964), Dunkerque de Christopher Nolan (2017)