Réalisation : Stéphane Brizé

Scénario : Stéphane Brizé, Olivier Gorce, Xavier Mathieu

Date : 2018 / France

Durée : 113 mn

Acteurs principaux :

Vincent Lindon : Laurent Amedeo

Mélanie Rover : Mélanie, la syndicaliste CGT

Jacques Borderie : le directeur de l’usine

David Rey : le directeur administratif

Olivier Lemaire : le syndicaliste SIPI

Isabelle Rufin : la DRH

A/SA :

Mots clés : Conflit – Politique – Solitude – Solidarité - Détresse

 

Avant d’identifier les éventuels apprentissages que nous pourrions retirer de cette nouvelle réalisation de Stéphane BRIZE, d’en mettre en lumière les analogies pertinentes en alcoologie, ces quelques lignes afin de souligner le talent et la persévérance de l’auteur, la qualité de son investigation de notre société, tel que nous avions déjà pu le constater dans « La loi du Marché » (2015).

Le scénario s’inspire d’un réel conflit entre des ouvriers et le groupe qui veut racheter leur usine.

Lors de la projection à l’Area, nous avons d’abord été impressionnés par la qualité des images, et le naturel des acteurs rendant palpable la violence de cette lutte sociale, Vincent LINDON étant le seul acteur professionnel au casting.

Caractéristique importante à préciser, certains syndicalistes ont joué leur propre rôle, à quelques années d’intervalle, puisque le film s’appuie sur des faits bien réels. La trame de l’intrigue n’est pas nouvelle : on y retrouve la confrontation entre la dignité des travailleurs et la vile soumission à la logique imparable du Profit financier.

Un groupe étranger (allemand en l’occurrence), vient de décider de la fermeture d’une de ses deux usines françaises. Il se trouve que c’est la principale entreprise industrielle d’Agen et que sa fermeture va inévitablement plonger dans un chômage durable ou définitif la plupart de ses salariés.

On imagine aisément les inévitables conséquences économiques, sociales et familiales que la situation va engendrer.  Il est effarant de constater l’indifférence et le mépris à cet égard des actionnaires du Groupe industriel et de leurs représentants en haut de l’échelle, déconnectés de la réalité du monde du travail ouvrier.

Le conflit trouve son origine et se déclenche lorsqu’il est avéré que la direction ne tiendra pas les engagements qu’elle avait pourtant formellement pris auprès de ses salariés. En effet, deux ans auparavant, les salariés avaient accepté de travailler quelques milliers d’heures, gratuitement, afin de conserver leur poste et préserver la viabilité de l’entreprise.

Or, en dépit des bénéfices depuis lors réalisés, les actionnaires finirent par estimer insuffisants les rendements financiers (alors même que le taux des actions de l’entreprise se trouvait bien supérieur aux taux des actions des entreprises du même secteur, l’industrie automobile). L’accord établi sur 5 ans avait été purement et simplement dénoncé unilatéralement par la Direction du groupe.

Le film se fait la chronique haletante d’une grève virulente et vouée à l’échec, après avoir révélé au grand jour les différents modes opératoires et les types de manipulations utilisés par le pouvoir financier afin d’imposer ses décisions.

            Au-delà du conflit propre au monde du travail, le film met en exergue les méthodes antihumanistes employées par les tenants du Capital pour parvenir à leurs fins.

Analogie, quand tu nous tiens

Le déroulement du récit ne manquera pas de nous permettre d’établir de profondes analogies avec ce que nous pouvons vivre en tant que soignants, aidants et citoyens, membres d’une association de réflexion, d’entraide et de soin telle que l’AREA.

    Les techniques mises en œuvre pour décourager les velléités démocratiques de ceux qui produisent de l’utilité sociale sont de même nature. Nous pouvons transposer, à travers ce conflit, l’exercice de la mise en pratique de comportements méprisants toute espèce de « justice », prise sur le dos des populations dépendantes de ces institutions. Nous retrouvons les mêmes inerties, la même mauvaise foi, la même indifférence, le même immobilisme, les fins de non-recevoir, la même mauvaise foi et la même incompétence de l’encadrement.

    Leur ignorance sert l’iniquité de leurs agissements. Ils ne risquent rien, eux. Au contraire, leur soumission est le garant de leur avenir. Seul le battage médiatique et le blocage de l’activité semblent les émouvoir. Cependant, les représentants du Pouvoir maitrisent autant sinon mieux que les rebelles l’impact des images rapportées par les médias. Le dialogue qu’ils proposent devant la détermination des travailleurs mobilisés n’est que de pure forme. Les propositions de dédommagement participent à l’effet d’enlisement et de détérioration du conflit, suscitant les inévitables conflits entre les salariés souhaitant poursuivre la grève et ceux résignés à composer pour éviter de tout perdre. Le pouvoir financier et ses serviteurs se moquent éperdument de l’utilité sociale. Ils savent utiliser les ressources de la Loi à leur avantage et à celui de leurs actionnaires. Les représentants de l’Etat français sont fidèles au poste, à leur place habituelle, essentiellement décorative, destinée à maintenir l’illusion du dialogue démocratique entre le pot de terre et le pot de fer.

   La situation de l’alcoologie est infiniment pire que celle constatée dans les milieux industriels. Il n’y a ni conscience de classe ni tradition de lutte. A la place du sentiment de dignité bafouée, la honte. A la place de la colère froide, la mésestime de soi et l’incohérence.

   Il existe bien un état de guerre aujourd’hui, n’en déplaise à tous les mollassons et les individualistes à courte vue de notre pays, celui imposé par la financiarisation du monde. Le film dénonce l’extrême difficulté à opposer une résistance efficace. L’alternative serait-elle de s’immoler par le feu, dernière image du leader syndical vaincu et rejeté par les siens, ou de rejoindre les SDF avec leurs bières et leurs chiens ? Il y a certainement une voie plus constructive mais il est peut-être encore trop tôt pour susciter une prise de conscience efficace de part et d’autre des bureaux de dialogue.

Peut-être les guerres animées aujourd’hui par le Capital finiront par déclencher d’autres violences, à côté desquelles le retournement du véhicule du PDG par des ouvriers furieux apparaitra comme un geste de mauvaise humeur anecdotique. Nous avons eu plusieurs drames symptomatiques, à l’image du mitraillage d’un Conseil Municipal par le quidam Richard Durn. Les rangs des Djihadistes comprennent des jeunes gens issus de notre propre pays. Des millions de jeunes gens – y compris de « bonne famille » ̶   passent l’essentiel de leurs temps à picoler, fumer, s’injecter des substances ou encore à se remplir d’images d’écran. Ils expriment la gravité d’un malaise dans la Civilisation fabriqué par la logique du Profit financier. La dissimulation d’autres perspectives que le retour sur investissement mais aussi les carences éducatives, scolaires et familiales ne peuvent que générer désespoir, haine, marginalisations et violences. Les guerres se suivent et ne se ressemblent pas forcément. Celle que nous subissons en Occident, depuis cinquante ans, a les habits trompeurs de l’opulence, de la démocratie et de l’hypermodernité. Á quand le réveil ?

Texte écrit conjointement par le docteur Henri Gomez et Sarah Pascual