Réalisation : Ernst Lubitsch

Scenario : Samson Raphaelson

Date : 1941

USA

Durée :   90 mn

Acteurs principaux :

James Stewart : Alfred Kralik                                                                                             

Margaret Sullavan : Klara Novak

Frank Morgan : Monsieur Matuschek

Felix Bressart : Pirovitch

William Tracy : Pepi

SA/ HA

 Mots clés :   Aveuglement  − Virtuel – Amour – Microcosme– Analogie

 

La quasi-totalité de l’action se déroule dans la boutique de maroquinerie de Monsieur Matuschek. Une jeune femme au chômage, Klara, se présente, et réussit à s’imposer comme vendeuse. Une situation conflictuelle s’installe entre elle et Albert, le vendeur principal. L’un et l’autre ont l’esprit envahi par les lettres qu’ils s’échangent via Poste restante, en ignorant qu’ils en sont les auteurs. Le petit monde pittoresque de la boutique gravite autour d’eux. L’infortune conjugale de Monsieur Matuschek se révèle et fait prendre à l’histoire un cours inattendu…

Demain est écrit

Au premier regard, « The shop around the corner » - « Rendez-vous, dans la version française » - s’inscrit dans la veine des comédies romantiques nord-américaines, avec, en plus, la Lubistch-touch et sa subtile ironie. Lubitsch, fils d’un tailleur juif, quitta l’Allemagne dès 1923. En 1935, il avait été déchu de sa nationalité allemande par le régime hitlérien, alors qu’il est déjà solidement implanté à Hollywood. En dépit du ton de ses comédies, des thématiques graves sont sous-jacentes.

Rendez-vous aborde la question du chômage et les relations entre patrons et employés. La date de réalisation de ce film revêt une importance particulière : en 1940, l’extermination des juifs d’Europe est encore un phénomène ignoré car masqué et dénié. L’action du film se déroule à Budapest, qui disposait d’une communauté juive très importante, dotée d’un pouvoir économique appréciable. En novembre 40, la Hongrie avait rallié la triple alliance de l’Axe, unissant l’Allemagne d’Hitler, l’Italie de Mussolini et le Japon de l’empereur Hiro-Hito. La Hongrie suivit la suggestion d’Hitler d’occuper une partie de la Yougoslavie, essentiellement composée d’une population d’origine hongroise. En contrepartie, la Hongrie s’engagea de plus en plus nettement dans l’alliance avec l’Allemagne nazie contre l’ennemi désigné : l’Union Soviétique. L’histoire de ce sympathique microcosme racontée par Lubitsch s’inscrit donc dans ce contexte. On ne trouve aucune référence au climat politique, alors que les personnages sont représentatifs des commerçants juifs de Budapest. La date de réalisation donne à cet univers restreint un aspect particulièrement décalé. Dans moins de deux ans, les personnages de l’histoire auront connu un destin tragique. Un premier enseignement peut se dégager du film : l’aveuglement répétitif des populations face aux catastrophes qui s’annoncent.

Un second aspect, tout aussi actuel, se situe dans le caractère factice des relations virtuelles. Avec une ironie qui ne faiblit pas tout au long du film, la démonstration de la force des représentations virtuelles est faite. À l’époque du ‘‘Rendez-vous’’, les rencontres se font à partir des petites annonces dans les journaux. Les messages amoureux se recueillent poste restante. La rencontre tant espérée et redoutée s’effectue dans un bar, à partir d’un signe de reconnaissance affichée, ici, le Anna Karénine de Tolstoï.

La double thématique de l’aveuglement historique et du poids des relations virtuelles se retrouve à notre époque. Elle donne un éclairage singulier à l’affirmation d’un des titres de Pierre Bayard : « Demain est écrit ». Ce film n’est pas récent mais sa portée est très actuelle.

Quelles relations avec la problématique alcoolique ? L’aveuglement d’une population concernée, l’image d’un microcosme chaleureux, déconnecté des réalités, la force de l’imagination et les limites du virtuel, la nécessité de rencontres authentiques…