Comment manipuler l’opinion en démocratie

Edward Bernays

Préface de Normand Baillargeon

Zones (1928/2017)

10€, 141 pages

 

Dans « Anesthésie générale », le livre consacre un chapitre entier à la « fabrique du consentement », telle que sut la mettre en œuvre et systématiser Edward Bernays, avec une habileté et un cynisme désarmant. Comme nous l’explique le très éclairant documentaire, réalisé par Jimmy Liepold pour Arte, Bernays a conçu des méthodes novatrices pour développer des courants d’opinion à l’encontre des intérêts de ceux qui les adoptent.

. Le savoir-faire de ce conseiller en communication au bénéfice de l’Industrie du tabac a valeur d’exemple. Il sut utiliser l’impact de « figures d’autorité » adéquates – des médecins en blouse blanche – pour leur poser une question fermée : leur marque de cigarette préférée. Les résultats de l’enquête furent répercutés sur plusieurs milliers de médecins. Le maître en communication accréditait ainsi que fumer est bon pour la santé. L’enquête, en prenant pour supports Camel et Philip Morris, boostait, de fait, la production du tabac tout entière.

Une seconde idée, plus subtile encore, fut l’assimilation de la cigarette à un symbole phallique d’émancipation, d’égalité et de pouvoir. Le jour de la parade traditionnelle des fêtes de Pâques dans la Cinquième Avenue, des « suffragettes » défilèrent cigarette à la main. Les femmes étaient ainsi conduites à doubler la population-cible, dès l’entrée sur le marché du Travail et en dehors de lui, puisque fumer devenait un symbole d’affirmation de soi et de liberté. Les cigarettes avaient été nommées les « torches de la liberté » !

Inconnu du grand public, Bernays était identifié par ceux qui avaient besoin de le connaître et qu’il avait, lui-même, besoin de connaître. Il expliquait sans fausse modestie ses méthodes, prouvant que la marionnette garde son pouvoir de persuasion quand elle explique sa façon de procéder.

Des affiches géantes et des petites séquences filmées imposèrent de même, en quelques années, le modèle hypercalorique du petit-déjeuner américain, à base d’œufs et de bacon. Bernays se démarquait tactiquement de son client pour donner une approche plus large, « désintéressée » et « scientifique » aux actions publicitaires.

Celui qui était le double neveu de Sigmund Freud (il était le fils de la sœur et du frère de l’épouse du père de la psychanalyse) eut un moment pénible quand il apprit que son livre était une référence pour Goebbels.

Retenons cette phrase-clé : « développer des courants d’opinion à l’encontre des intérêts de ceux qui les adoptent ».