Apologie de la liberté

Denis Tillinac

Equateurs, 2014

12€, 108 pages

 

Curieuse époque, où la meilleure façon de prendre en compte l’avenir consiste à adopter un positionnement réactionnaire.

À moins de réussir à garder des œillères, à se refuser absolument d’analyser et de comprendre les réalités, la seule attitude légitime est de déconstruire le discours du politiquement correct, façonné par les impératifs du libéralisme sans frontières. Reste à tâcher de survivre face aux dites réalités, à voir ce qui est possible pour enrayer la progression de la folle Méga-machine. Au fil des semaines, un nombre croissant de personnes font preuve d’esprit critique. Le phénomène est nouveau.

Le petit livre de Denis Tillinac a été rédigé en 2013. Il est d’un abord simple et ce n’est pas la moindre de ses qualités. Effaçons-nous devant le propos.

« Le réac a tendance à privilégier ces moments de grâce où l’Histoire semble enfanter un peu mieux que du bruit et de la fureur. Il isole des personnages, des œuvres, des actes symboliques et s’en fait une armure spirituelle et esthétique. Il sait pertinemment qu’aux temps jadis enjolivés par son imagination, il se serait senti aussi décalé, aussi orphelin, aussi inactuel. Le réac est foncièrement inactuel (p13)

A propos de notre Monde : « Je le déteste cordialement. Il salit mes joies, encrasse mes désirs, endeuille mes aspirations. Je le trouve vulgaire, mercantile, grégaire. (Je rejette) ce pot-pourri de scepticisme ricanant, d’hédonisme bas de plafond et de compassionnel sirupeux » (p25).

Les fondamentaux du réac ? Quichotte plutôt que Sancho. Le sens de l’intériorité, celui de l’héritage porté par la mémoire. L’humour jusqu’à l’ironie. Une forme de désinvolture. Allumer les étoiles. Poser l’échelle de ses désirs pour la gravir. Viser l’harmonie. Savoir ritualiser. Distinguer. Choisir ce qui nourrit l’esprit, éliminer ce qui l’encrasse. Goûter la lenteur. Préférer l’ambiguïté aux affirmations catégoriques. Faire une place aux regrets. Moins classique : penser les hiérarchies comme une maison avec ses différentes affectations. Distinguer éternité et perpétuité. Écarter le pathétique, accepter le tragique, sans en rajouter. Cacher ses désirs pour qu’ils prennent leur envol, ses sentiments pour qu’ils gagnent en consistance, ses larmes pour s’épargner l’horreur des fausses pitiés.

Une passion pour la féminité (p 42-52). Ces signes distinctifs font du réac une personne de bonne compagnie. Pourtant, il est combattu et discrédité par notre Modernité. L’efficacité s’accommode de la tricherie. L’intériorité butte sur « la pornographie de la transparence ». La maison de famille a pour destin pour se muer en m2 pour promoteurs. La mémoire est inutile, suspecte. La balourdise plutôt que l’humour. La désinvolture est insupportable aux partisans de la mise en conformité. Plutôt que les visions amples : du « développement personnel », du marchand de « spiritualité », exotique, de préférence. L’harmonie, c’est quoi ? Cela doit bouger, décoiffer ! Les croyants sont des niais inoffensifs, respectés comme preuve de tolérance, de « laïcité ». La consommation pour tous, avec ce qu’il convient de distinctions. Pressé ou détendu, jamais à la bonne allure. Une émotivité binaire. L’amour des superlatifs. Le refus du tragique, de l’incomplétude, des contradictions, de la souffrance. Le progrès, toujours le progrès. La religion de l’aveu. Le sens de la féminité ? Et pourquoi pas distinguer entre les genres ! (p52-58) ; Manquerait le « désir collectif de s’atteler à une renaissance » (p62).

Plus loin (p92) un gros mot - « Décadence » - avec cette précision : « ce mélange nauséeux d’avachissement dépressif, d’émotivité hébétée er de hargne vindicative ». « Il ne croit pas au Progrès, mais il ne crache pas sur des améliorations mesurables ».

Conclusion : « Le réac n’est jamais sûr d’avoir tout-à-fait raison. Le doute est son compagnon, sur ces chemins de traverse où il s’est hasardé pour fuir la meute ».

Un petit livre qui mérite d’être parcouru.