50 fiches pour comprendre

L’actualité

Pascal Boniface

Eyrolles

262 pages, 11€90

lageopolitique

 

Cette fiche est le résultat d’une initiative familiale. Elle correspond à un échange à trois établi à partir de la lecture séparée d’un ouvrage proposé par un des membres du trio. Une fois ces lectures achevées, chacun des trois participants indique les enseignements qu’il en retire, en commençant par l’auteur du choix du livre. J’ai souscrit à cette proposition originale. La rédaction ci-dessous correspond à ma lecture du livre de Pascal Boniface. La mise en examen du livre n’est pas de mon fait.

Cette activité n’est pas sans évoquer ce que nous faisons en groupe de parole et au sein de l’association par le biais des fiches présentant un ouvrage ou un film. A priori, l’effort sera moindre pour un film mais pourquoi refuser ce type d’échange à propos d’une thématique proposée par une seule personne à propos d’un livre ? 

Vous pouvez peut-être proposer ce nouveau type de dialogue familial à vos proches. Cette façon de faire prend son intérêt si elle se perpétue dans la durée. L’exercice favorise l’expression des accords et des désaccords.

La présentation du livre est originale. Elle évoque « dix défis », les « principaux conflits et crises » (au nombre de seize pour l’auteur), ce qui nous permet de nous promener sur la planète, « dix tendances structurelles » et « dix questionnements ».

Ainsi présentée, la géopolitique permet à l’auteur de faire l’impasse sur les conceptions géopolitiques de nos partenaires européens, et de ne pas évoquer les différences de lecture de la géopolitique passées ou présentes des responsables et des courants politiques de notre pays.

Qu’est-ce que la géopolitique ? Nous pouvons laisser les définitions de l’ouvrage - historiques, successives et plutôt laborieuses - pour donner la mienne, plus simple : la géopolitique c’est la politique définie à l’aune de la planète, dans les différentes caractéristiques de cette dernière : proprement géographiques et climatiques mais aussi humaines, historiques, économiques… Ce qui suit n’est pas un résumé. Il comporte des commentaires « à chaud ».

Mon diplomate préféré est le républicain Henri Kissinger, 99 printemps en 2022, partisan d’une politique pragmatique à l’époque de Nixon. Il ne s’embarrassait pas des bondieuseries moralisantes du Bien qu’étaient censé incarner les Etats-Unis face au Mal représenté par les grands rivaux des USA, les affreux communistes russes et les diaboliques islamistes. Brzezinski, américain d’origine polonaise, a exprimé sa phobie des communistes au temps du président Carter. Il estimait que sans l’Ukraine, la Russie n’était plus réellement une grande puissance dangereuse. Le géopoliticien le plus risible est le nommé Francis Fukuyama qui prédit la fin de l’Histoire par la magie de la généralisation de l’économie de marché. Joseph Nye préconisa, enfin, le soft power, c’est-à-dire la propagande à partir des divers produits culturels made in USA. Il y avait longtemps que la fraîcheur de vivre était associée à Hollywood chewing-gum. Samuel Huntington prédit, de son côté, le choc des civilisations

Les dix défis politiques

Le lecteur de cette partie finit par se demander pour qui sont ces dix défis.

La gouvernance mondiale est un mythe et non un défi. Ce qui est certain, c’est que les Américains se dispensèrent d’aider économiquement Gorbatchev quand ce dernier décida de mettre fin à la chape stalinienne qui étouffait les Russes. Ils en avaient eu la possibilité après la guerre du Golfe provoquée par l’annexion des puits de pétrole du Koweït par l’Irak en 1990-1991. Il était tentant d’enfoncer davantage l’adversaire…

« Un seul pays ne peut (plus) imposer son agenda et ses règles au reste de la planète. » La COP 21 relative à la conférence de Paris en 2015, a fixé des règles en matière de réchauffement climatique ; mais des Etats, en commençant par les USA, à l’époque récente de Trump, se sont donnés le droit de ne pas les appliquer. La vertu est inégalement supportée en fonction des situations locales.

Le covid-19 fait l’objet d’un chapitre non critique tout en reconnaissant que la pandémie a supprimé arbitrairement et irrationnellement la « liberté d’aller et venir », y compris sur un territoire exigu. Le virus a ressuscité – c’est nous qui le précisons – la grande peur de l’an mille. 

Le terrorisme, comme l’indique le petit résumé en caractères gras qui conclut chaque chapitre, a un impact médiatique et psychologique sans commune mesure avec ses conséquences concrètes. Il nourrit l’insécurité de la population, comme le covid, tout en justifiant l’encadrement militaire de la vie de tous les jours.

Le lecteur prend, à la suite, connaissance des autres « défis ». La prolifération nucléaire combattue, au nom de la sécurité, par les pays qui la possède déjà. La permanence de la guerre est une évidence, qu’elle prenne la forme militaire, économique ou financière (c’est nous qui l’ajoutons, en souvenir de la manière dont la Grèce de Varoufakis et de Tsípras a été traitée par la Commission européenne (Revoir Adults in the room de Constantin Gavras). Le « dérèglement climatique » est court, explicite et sans ambiguïté, même s’il reste discret sur des causes majeures du réchauffement : la surpopulation relative et la généralisation des nouvelles technologies. Le réchauffement induit montée des eaux, désertification, expression d’agents de pandémie. L’auteur confirme l’entrée dans l’anthropocène. L’éventualité de réfugiés climatiques par millions ne peut être écartée. Le choc des civilisations, associant des éléments identitaires tels que les religions, les sentiments d’appartenance, les langues, les mœurs et l’histoire, est une réalité qu’il est difficile de nier. Les mélanges de population ne font qu’accentuer les antagonismes. La contradiction principale, à ce jour, oppose la culture judéo-chrétienne mais également républicaine à l’islam radicalisé. La généralisation du consumérisme n’est pas une solution à la différence de l’orientation philosophique et la volonté pacifique (c’est nous qui l’ajoutons). 

Les Etats faillis sont une donnée intéressante. Certains territoires ne sont plus gouvernés. Ils ne disposent plus d’un Etat capable d’assumer un minimum de cohésion. Ils manifestent le règne du Non-droit. La drogue et différents trafics s’y épanouissent, sans véritables freins. Qu’en est-il de notre beau pays alors que ses institutions sont pour partie instrumentalisées par des sources de non-droit ? Les cyberguerres ont un bel avenir devant elles, après les autres formes de guerre sur terre, mer, air et espace. L’auteur oublie les guerres induites par ceux qui définissent les règles du jeu en intervenant par différents procédés, financiers et politiques, dans la vie des pays (Chili, par exemple). Les USA et la Chine ont conclu un accord de non-agression réciproque en 2015, un peu sur le modèle de la non-prolifération des armes nucléaires. Les flux migratoires, dernier volet de cette partie, se sont inversés, passant du sens Nord-Sud a un sens Sud-Nord. « L’Europe apparaît pour les migrants comme un Eldorado pacifique. Après le trafic d’armes et de drogues, le trafic d’êtres humains arrive en troisième position des secteurs d’activité les plus lucratifs du crime organisé. » Pascal Boniface ajoute sans surprise que c’est « bien sûr à la source que l’on peut le mieux régler ce problème pour le développement économique et le règlement des conflits »

Les principaux conflits et crises

La troisième partie s’attache à présenter les principaux conflits et crises. L’actualité a mis en exergue certains d’entre eux et le reste a été occulté. Nous sommes invités à parcourir un grand voyage.

Chine et USA

Les deux monstres sont en compétition et en interdépendance, avec un avantage à la Chine, en matière de métaux et de terres rares dont l’informatique est friande. Comment les USA s’accommoderont-ils d’être dépassés par les Chinois ?

Ukraine – Russie

L’est du pays est pro-russe ; l’ouest se tourne vers l’Europe. Les Russes ont annexé la Crimée, avec Sébastopol, et la mer d’Azov.

Comment se finira cette guerre ? Par une partition négociée ? 

L’Etat Islamique

L’Etat islamique a longtemps été hors sol, depuis la création de Daech en 2006. C’est un groupe qui a décidé un jour d’occuper des territoires par les armes au sein de la Syrie et de l’Irak. Il a rapproché des survivants d’Al-Qaïda, des officiers de Saddam Hussein et des populations locales.

Il convient d’insérer ici une petite grille de distinction entre les deux principaux courants au sein de l’Islam, les chiites et les sunnites. À la mort de Mahomet, en 632 la communauté des croyants se divise. Les chiites désignent Ali, gendre de Mahomet ; les sunnites désignent Abou Bakr, un compagnon de toujours du prophète. Abou Bakr devient le premier calife. Depuis, les sunnites ont toujours été majoritaires. Ils représentent aujourd’hui environ 85 % des musulmans du monde. Les seuls pays à majorité chiite sont l’Iran, l’Irak, l’Azerbaïdjan, mais d’importantes minorités existent au Pakistan, en Inde, au Yémen, en Afghanistan, en Arabie saoudite... L’islamisme radical n’a en principe rien à voir avec la religion, au détail près que les chiites acceptent la séparation des pouvoirs politique et religieux, alors que les sunnites les confondent. Les chiites sont hiérarchisés à la différence des sunnites. Les musulmans libres-penseurs existent tout comme les musulmans ouverts à la culture européenne. Notons pour l’anecdote qu’une toute petite fraction des musulmans - les alaouites proches des chiites - présents en Syrie, boivent de l’alcool. 

Quand Daech a disposé du pouvoir, il a persécuté les minorités non sunnites ainsi que les sunnites réfractaires à la guerre sainte (le Djihad). Il spécule sur la mauvaise intégration des populations maghrébines au sein des pays européens. Il progresse à partir de la misère et de l’inculture des populations. Daech est( ?) un enfant naturel de la mondialisation. Il poursuit une progression en Afghanistan, en Afrique et dans quelques pays d’Asie. 

Israël-Palestine

En forgeant le projet de l’Etat des juifs en 1897, le sympathique socialiste Théodore Herzl a réussi que des juifs de toutes origines, les Ashkénazes d’Europe du Nord et les Sépharades du pourtour méditerranéen se retrouvent avec toutes sortes de nationalités qui avaient subi persécutions et discriminations. Les Européens et les Britanniques en premier lieu ont ainsi contribué à créer une zone de conflit insoluble au Moyen-Orient, alors que la question de l’intégration des juifs en Europe et dans le monde, par le fait même de leurs aptitudes intellectuelles et créatrices, n'aurait même dû avoir besoin d’être discutée. Les Européens ont contribué à créer et à enkyster la « question juive ». Israël a adopté des positions incompatibles avec la paix. Trois courants contribuent à favoriser un sentiment d’insécurité latent chez nos compatriotes juifs dans notre pays, les islamistes radicaux, les descendants des collaborateurs français et les « géopoliticiens » manichéens, acquis à la cause du peuple palestinien. 

L’Iran

L’Iran dispose d’un programme nucléaire , pour le moment civil et c’est très bien ainsi, n’en déplaise à ceux qui, à la suite de George Bush ont dénoncé « l’axe du mal », englobant également la Corée de Nord et l’Irak. C’est aux Iraniens de prendre en charge leur destin et de se mettre d’accord entre eux. Nous pouvons noter à travers quelques films une capacité critique et un désir de liberté en Iran. À suivre. 

La Syrie

Bachar- Al Assad s’est signalé à l’Opinion mondiale en utilisant l’arme chimique contre ses opposants. Les Européens ont fait pareil lors de la première guerre mondiale. L’Etat islamique a perdu la partie en 2019 grâce à une armée internationale où les kurdes ont joué un rôle. Le pays est détruit. Plusieurs millions d’habitants se sont réfugiés dans les pays limitrophes : Turquie, Jordanie, Liban. Encore un gâchis dont, apparemment, l’ONU se moque désormais. Il fait partie des « Etats faillis ».

Le Yémen

Le Yémen n’a pas les honneurs des médias alors qu’il connaît une guerre civile sur fond de misère depuis des années. Comme dans d’autres régions du monde, il s’est un temps divisé en régime communiste, dans le sud, avec la capitale Aden, et en Yémen du nord également dictatorial, proche des USA. Devenu lieu d’hébergement des refuges d’Al-Qaïda, le Yémen réunifié depuis 1990 est assez régulièrement l’objet de missiles nord-américains. La population y crève de faim. Il fait partie des « Etats faillis ».

La Lybie

La Lybie fait également partie des « Etats faillis ». L’élimination du Colonel Kadhafi, certes mégalomane grandiloquent et paranoïaque, n’a fait qu’accroître la pagaille, en laissant place aux représentants armés de l’islamisme radical et, également, au trafic d’humains. Les arrivants du Sud y subiraient une mise en esclavage.

L’Afghanistan

Avec l’Afghanistan, nous atteignons une des performances récentes les plus notables de la géopolitique américaine. En 1979, l’URSS avait cru bon d’intervenir pour mettre fin à l’affrontement de deux factions du parti communiste local. En 1988, Gorbatchev avait eu la sagesse de retirer les troupes russes du territoire. Depuis 1979, le pays n’a connu que la guerre. Le dernier épisode, après le repli misérable de la « force internationale d’assistance » qui a soutenu, un temps, les Patchouns, a été l’arrivée au pouvoir des Talibans, en 2021. Nous savons ce que cela signifie quant au sort réservé aux femmes et aux libertés de base. L’Afghanistan avait servi de refuge à Ben Laden, après l’attentat du 11 septembre 2001. Ce pays illustre, une fois encore, le fait qu’une force militaire étrangère peut s’imposer grâce à sa supériorité technologique sans pour autant permettre un changement stable et satisfaisant.

L’Inde et le Pakistan

Encore une partie du monde où deux pays s’affrontent, en raison de leurs différences religieuses, ethniques et tribales, pour un territoire où vivent des populations différentes, à savoir le Cachemire. L’Inde comme puissance montante a annexé le Cachemire. Elle rend la vie la plus difficile possible aux populations musulmanes locales, ce qui n’arrange pas ses relations avec le Pakistan musulman. Marx avait estimé que la religion avait un effet anesthésiant. Il est prouvé qu’elle a aussi un pouvoir excitant et hallucinogène.

L’expansionnisme chinois et la Corée

Pascal Boniface poursuit son survol des conflits interminables, plus ou moins contenus à l’Est. La Chine veut Taïwan, après avoir absorbé HongKong. La Chine et le Japon se disputent les îles en mer de Chine. La Chine entend maintenir le Tibet sous sa tutelle ainsi que le Xinjiang – plus au Nord. La Corée du sud se coule dans le modèle libéral avec une discipline qui laisse peu de place à la fantaisie. Elle devient un « tigre asiatique » hyper-numérisé. La Corée du Nord a inventé le communisme héréditaire, tout en se dotant de l’arme nucléaire. 

Le Mali et le Sahel

Cette région du monde qui abrite les Touaregs est un des terrains d’action privilégiés par les islamistes. Face à eux des militaires. Les infrastructures qui pourraient aider les populations à y vivre font défaut et la France y est devenue indésirable. Pourquoi jouer aux gendarmes ? 

L’Arménie et l’Azerbaïdjan

Nous sommes, avec l’ex grand-frère russe, devant une illustration de la contradiction entre deux principes politiques : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (pour le meilleur et souvent le pire) et le respect de l’intégrité des territoires. Staline avait inclus le Haut-Karabakh, majoritairement peuplé d’Arméniens au sein de la République d’Azerbaïdjan musulmane, afin de diviser pour mieux régner. L’armée azérie, soutenue par la Turquie n’hésite pas à bombarder les populations civiles d’Arménie pour les faire fuir. Les Turcs avaient perpétré un génocide à l’encontre des Arméniens. Ils sont dans une sorte de continuité. L’Arménie est à la fois abandonnée par les Russes, en dépit d’un traité d’assistance et par les USA qui se désintéressent du dossier.

Les tendances structurelles

La quatrième partie de ce livre peut pratiquement se résumer aux têtes de chapitres. Les USA cessent d’être la première puissance mondiale. Il serait peut-être opportun de s’en aviser. Le pouvoir des géants du numérique a pris le relais. Là aussi, il faudrait peut-être réfléchir à plus d’autonomie, ne serait-ce qu’en développant une maîtrise concertée au niveau européen. De la même façon, les pays occidentaux devraient cesser de se prendre pour plus forts qu’ils ne sont et s’occuper davantage de leur sort. Les USA leur montrent le chemin. Ils oublient désormais l’Europe qui restent à leurs yeux un marché pour prendre en compte la montée des « tigres asiatiques ». « L’Europe, pour eux, n’est ni un problème ni une solution ». Accessoirement, on peut constater la prolifération d’Etats, consécutifs à la désagrégation des anciens empires. La Chine va s’imposer comme la première puissance mondiale. Elle assure ne pas vouloir dominer le monde. Pourquoi s’y emploierait-elle alors qu’elle dispose des meilleures cartes ? Elle a besoin de clients pour écouler sa production et vendre les ressources indispensables aux autres économies.

Pascal Boniface évoque « la montée en puissance de l’opinion publique » mais nous savons comment elle se fabrique et se contrôle. Le chapitre 10 affirme très curieusement que la démocratie progresse. Je serais plutôt tenté de dire que nous évoluons vers une forme de pagaille civile généralisée avec un accroissement du contrôle de l’opinion et de la coercition.

Les dix questionnements

Elles ne nous retiendront pas beaucoup plus.

La fin des frontières est célébrée par les tenants du libéralisme. Ils regrettent qu’il en subsiste encore, tout en constatant que le mondialisme n’a en rien apporté la paix.

La mondialisation universelle répond à la formule de Marschall McLugan selon laquelle « le monde est un village global ». Le monde n’est pas encore passé sous la coupe d’Internet et comme dit l’auteur la fracture numérique s’est substituée à la fracture nord-sud. On peut faire confiance aux GAFA et à leurs équivalents. Les pingouins de ce qui reste de banquise disposeront sans doute prochainement de puces électroniques. La géopolitique témoigne de la généralisation des rivalités et des conflits.

L’impuissance de la puissance militaire (la rime est riche !) s’est vérifiée dans les conflits les plus récents. Elle est nécessaire à l’exercice de la souveraineté. Pour autant, elle ne la garantit pas. Un pays peut être domestiqué économiquement, colonisé par l’étranger, anesthésié par le soft power constitué par les divers moyens de conditionner l’opinion.

Les NTIC ou nouvelles technologies de l’information et de la communication sont présentées comme une source d’information inépuisable et comme le moyen de mise en place d’un système totalitaire. Les optimistes pensent qu’elles modifieront les relations entre les pouvoirs et les citoyens. Pour quels pouvoirs et pour quels citoyens ? 

L’obsolescence des Etats est annoncée. L’auteur croit à l’avenir des ONG (organisations non gouvernementales). Il y aurait trop à dire sur ces questions pour ajouter un commentaire à cette prévision. 

La privatisation de la guerre a suscité le développement de sociétés militaires privées. Les grandes puissances et notamment les USA les utilisent de plus en plus. Les Russes suivent. Ces sociétés posent des problèmes de formation, de contrôle et d’éthique minimale. 

Les matières premières font l’objet d’une courte mention, dès lors que les métaux et les terres rares constituent un enjeu majeur pour les nouvelles technologies. Les ouvrages de Guillaume Pitron sont très explicites sur ce point. La guerre en Ukraine a mis en évidence, si besoin était, la question des sources d’énergie qui relance, par ailleurs, le débat sur les énergies fossiles et l’énergie nucléaire. L’auteur n’en parle pas. Il fait mention des droits d’exploitation obtenus par une puissance comme la Chine dans certains pays d’Afrique comme le Congo. Ce pays dispose de ressources minières considérables pillées de différentes manières, la corruption des dirigeants aidant, tout en étant un des pays les plus sousdéveloppés de la Planète. 

Les chapitres sur le déclin de l’Europe ou sur les compétitions sportives internationales sont dépourvus d’intérêt. Le livre s’achève par un chapitre abordant l’intelligence artificielle. Il évoque la puissance colossale des géants du numérique. Elle se retrouve dans le fait que « les capitalisations boursières des Big Tech sont d’ores et déjà supérieures au PIB de nombreux Etats. ». « Leurs nombres d’utilisateurs les placent devant les géants démographiques que sont les géants démographiques chinois et indiens » 

Les regards portés à leur sujet sont opposés. Certains y voient une forme de déshumanisation généralisée qui remplace les humains, isole par la connexion, et donne les moyens d’une surveillance totale (sans pour autant empêcher les massacres terroristes ou les guerres), tout en étant un facteur majeur du réchauffement de la Planète. L’intelligence artificielle crée un monde de schizophrènes, d’handicapés relationnels indifférenciés. D’autres pensent qu’avec le numérique ils accèdent à l’autonomie, tout en multipliant les codes d’accès pour préserver les données accumulées. Une course à l’armement numérique s’est développée pour dominer le monde.

L’intelligence artificielle donne une force inégalée à la mégalomanie des humains. « La fortune de Jeff Bezos, le patron d’Amazon, s’est accrue de 80 milliards en moins d’un an pendant la période du covid. Bill Gates s’est substitué aux USA pour verser la cotisation américaine à l’OMS, dans la même période. La société d’Elton( ?) Musk s’associe à la NASA pour envoyer des touristes dans l’Espace. Mark Zuckenberg( ?), le patron de Facebook, a lancé sa propre monnaie, le Libra.

L’intelligence artificielle fait de nous des animaux dénaturés. Elle est la promesse d’une aliénation absolue au nom de la liberté.

Quelles conclusions tirer de cet ouvrage ?

Une définition de la géopolitique finit par s’imposer à la lecture des chapitres successifs : la géopolitique c’est la guerre de tous, partout.

L’auteur réalise la performance de proposer un éclairage géopolitique du monde sans dire un mot des conceptions géopolitiques de la France et de l’Europe, sans même évoquer les différences de vision géopolitique des courants politiques pouvant subsister. Il n’est fait aucune allusion, par exemple, de la façon dont la Commission Européenne a mis à mal la volonté de la Grèce de retrouver une maîtrise économique et sociale, en acceptant un étalement de la dette.

S l’on veut établir une relation entre la géopolitique et la problématique alcoolique ; nous pourrions justifier la géopolitique en soulignant son approche systémique. Le destin de la personne alcoolique prend sa signification rapportée à son histoire, ses traumatismes, sa famille, la société dans laquelle elle vit. La sortie de la dépendance suppose d’être maître chez soi et d’établir une hiérarchie relationnelle soit le contraire de ce que nous vivons avec la mondialisation et la tutelle du numérique. La sortie de la dépendance est liée au discernement de chacun. Le monde actuel nous impose une version des faits, une conception du réel façonnée par les maîtres du monde. La géopolitique impose les rapports de forces et la puissance de la finance. Elle disqualifie le bon sens et l’éthique.