Origine

Les groupes de parole appartiennent à la tradition de l’alcoologie et de la psychothérapie. Les plus connus sont les groupes programmatiques (les

« 12 étapes » des Alcooliques anonymes), et les groupes de rencontre (inspirés par Carl Rogers). Le groupe intégratif (GI) s’en distingue.

Le GI est un outil multifonction :

  • D’élaboration mentale pour ses participants réguliers et donc, en premier lieu, pour son animateur. Le GI est opérateur-dépendant.
  • D’accompagnement pour une population concernée par une problématique complexe et grave, en l’occurrence la problématique alcoolique et addictive. Il s’agit d’aider chacun à prendre la mesure de ses comportements addictifs, des représentations qui s’y rattachent et les entretiennent, afin de les dépasser.
  • De cohésion. Le GI favorise une approche commune de la problématique, à partir d’une culture partagée, étayée par les ouvrages publiés et les expériences partagées.
  • D’organisation. Le GI est l’épicentre de l’association de réflexion. Il permet la constitution d’une équipe évolutive d’aidants d’organisation et de dialogue. Il permet ainsi le fonctionnement de l’association.

Caractéristiques fonctionnelles :

  • Une animation et une modération sont assurées par un soignant également chargé de suivis individuels (psychiatre, médecin ou psychologue clinicien)
  • Un thème est proposé sur une à deux pages par le modérateur en fonction de l’actualité des consultations, des demandes ou de lectures. Le texte est mis à disposition dès la fin de semaine par le site de l’association de réflexion et d’entraide. Il est disposé sur la table de la réunion.
  • Les séances hebdomadaires durent deux heures, aux moments les plus accessibles (pour l’AREA : 17h30 – 19h30)
  • Les interventions doivent être relativement brèves (30s à 3mn) pour laisser du temps aux autres, en entraînant à la clarté et à la concision. Elles sont improvisées. Elles ne sont pas lues.
  • La parole est écoutée, sans être interrompue. Elle ne fait pas l’objet de commentaires directs, même si elle facilite les prises de parole successives sur le mode de la pensée associative.
  • La parole est personnelle sans être nécessairement égocentrée.
  • La parole ne se limite pas au ressenti. Elle peut refléter une opinion diversement documentée.
  • La prise de notes des interventions est assurée par un personne habituée (le « scribe »)
  • Un compte-rendu est réalisé par le modérateur, dans la continuité de la séance. Rédigé pour l’élaboration mentale des lecteurs, il ne colle pas au mot à mot.
  • Toute réunion est ouverte, ponctuellement, à qui en fait la demande (soignants, proches ou administratifs de la Santé).
  • La participation aux réunions contribue à la formation des étudiants accueillis en stage de formation.
  • La transmission des comptes-rendus est réservée aux adhérents de l’association.
  • La participation moyenne à une séance peut osciller entre 15 et 25 personnes. L’existence des comptes-rendus permet de transmettre le contenu de la séance à l’ensemble des adhérents.

 

Les grilles de lecture et la culture mobilisées

  • Avoir souffert de l’addiction ou être addict fait partie du « droit d’entrée ». La honte et la crainte du jugement sont ainsi évacuées.
  • L’axe principal du travail commun est la personne et sa conduite de vie. Il est donc philosophique.
  • A côté des connaissances de caractère scientifique rendant compte du phénomène addictif, toutes les grilles de connaissance sont mises en jeu.
  • Les grilles de lecture du réel qui nourrissent le GI sont éclectiques : médicales et mentales, psycho-pathologiques, psychanalytiques, psycho-comportementales, psycho-sociologiques, littéraires et cinématographiques ainsi que l’ensemble des sciences humaines.

Pourquoi cet outil n’est-il pas reconnu d’intérêt public ?

Le GI correspond à une expérience de praticien : les décideurs et les universitaires n’en n’ont pas l’expérience. 

La culture jacobine, descendante, admet difficilement d’être interpelée par une expérience de terrain. Elle a perdu l’essentiel de ce qui faisait son efficacité : le souci de l’intérêt général.

La culture néo-libérale est centrée sur le profit financier. Elle néglige l’’intérêt général tout en laissant prospérer une bureaucratie hors de portée de la population.

Le GI a un objectif humaniste qui s’oppose à l’idéologie actuelle. Il vise effectivement à développer l’esprit critique et la bienveillance.

Le GI, en tant que tel, s’est heurté à l’absence de reconnaissance par les Pouvoirs publics, toutes catégories confondues, et, ce qui pourrait étonner, à l’indifférence des sociétés savantes concernées par les problématiques addictives. Ce qu’il représente reste ignoré des médias qui ont perdu leur indépendance et l’essentiel de leurs capacités exploratoires.

Pourquoi devrait-il l’être ?

Ce modèle peut servir à d’autres problématiques de santé.

Il peut et devrait trouver sa place, sur un mode contractuel et forfaitaire, dans le cadre de centres pluridisciplinaires en médecine de ville et de campagne. Ces centres peuvent être organisés par l’objectif d’utilité sociale et de bien-être des professionnels chargés de les faire vivre.

Dans le cadre de ces structures à promouvoir. Le GI peut et doit être associé à d’autres activités de groupe telles que :

- L’éducation à la santé, pour éviter l’encombrement des Urgences - Les ateliers d’aide à l’expression et à la relation.

Au-delà des problématiques qu’il soigne, il contribue à développer un lien social qui atténue les clivages sociétaux. Il constitue un outil culturel de dépassement des comportements grégaires et simplificateurs de nos sociétés.

Les Pouvoirs publics doivent accepter de payer le temps et la qualification des acteurs de santé dans un but d’efficience, associant l’efficacité et le bon usage des ressources financières.

groupeNous n’avons certes pas inventé les groupes de parole en alcoologie. Cette forme de prises de parole à plusieurs accompagne la naissance d’une pratique qui se confond avec l’histoire de l’alcoologie. Nous sommes les héritiers de deux traditions : celle des Alcooliques Anonymes, qui nous a permis d’apprendre à écouter, sans interrompre et sans porter de jugement ou de contradiction explicite, celle des groupes non directifs et non spécifiques, instaurée en son temps par Carl Rogers. L’influence des AA a été déterminante alors que la seconde a seulement nuancé notre approche.

Un ouvrage « Les groupes de parole en alcoologie », publié chez érès, en 2011, a détaillé trois types de contenus et de fonctions. La place des soignants diffère dans leur dynamique ainsi que la nature des thèmes.

 

 

Le groupe du vendredi ou groupe des pairs

Le groupe du vendredi est avant tout celui des « pairs ». Le soignant présent n’y intervient que pour une reformulation finale. Il ne propose pas de thème de réflexion préétabli. L’expression est libre avec une garantie d’écoute active, sans dialogue ni controverse. Il s’agit d’un groupe de début de parcours, celui qui permet d’exprimer ses doutes, ses peurs, ses difficultés et d’entendre en écho des éclairages d’autres participants sur le mode du compagnonnage. C’est un groupe de réassurance affective qui atténue le sentiment de solitude. Il prépare au week-end, d’une certaine manière. Le compte rendu qui en est fait est volontairement concis.

Le groupe du jeudi est centré sur la personne

Le groupe du jeudi est animé par un(e) psychologue. Comme le précédent, c’est un groupe de la période « sans alcool », expression qui signifie que le « produit » n’est pas très loin. Le travail de déshabillage de l’objet-alcool est en cours, autorisant l’expression des problèmes pour lesquels il a été « LA » solution. Le travail du groupe est centré sur la personne, sur ses émotions, son vécu, ses relations à l’alcool, à soi-même et aux autres. Il comporte un thème écrit. Il est suivi par un compte rendu détaillé, rédigé par le soignant qui l’a animé par ses sollicitations et ses reformulations.

Le groupe du lundi, dit intégratif et médiateur du lien soignant/soigné

Le groupe du lundi a une dimension intégrative. Que veut-on dire par là ?

Il implique le ou les soignants chargés des suivis individuels, selon un mode particulier que nous appelons le double « Je ». Le soignant animateur peut s’exprimer par la reformulation en fonction de ce qu’il comprend de l’intervention de chaque participant mais également en son nom propre. Sa présence est un gage de réciprocité sinon d’égalité dans les échanges. Le soignant ne s’exprime pas « masqué ». S’il a des doutes, s’il ne sait pas ou si lui-même à une difficulté à exprimer, il peut le faire.

Comme le précédent et sans doute plus encore, il est médiateur du lien. Le groupe fait tiers entre chaque participant et le soignant. Cette médiation est importante en alcoologie car elle atténue l’effet de dépendance au thérapeute, l’effet dit transférentiel, du patient au soignant, mais aussi contre-transférentiel, du soignant au patient.

L’anaclitisme, c’est-à-dire la dépendance à l’autre, et en la circonstance au thérapeute, est amortie par la diversité des participants. Chaque habitué a son style, sa façon de dire et ses propres références. Implicitement, il est invité à penser par lui-même, y compris sous la forme du dialogue intérieur. La connaissance préalable des thèmes permet de réfléchir avant la réunion, pendant, et  sur le chemin du retour puis après, grâce aux comptes rendus.

L’aspect intégratif se vérifie par l’éclectisme des thèmes en lien avec l’actualité, une ou plusieurs histoires de patients et, plus encore, avec des aspects de la problématique humaine confrontée à ses problèmes existentiels. Il fait appel à différentes grilles de lecture qui se découvrent, cognitives et comportementales, mais aussi systémiques et familiales, psychologiques et psycho-pathologiques, culturelles et factuelles, en se déduisant des histoires, des expériences et des connaissances particulières.

Le groupe fonctionne ainsi comme un « intellectuel collectif ». Il nous sert à penser l’alcoologie et, au-delà, la problématique humaine. C’est l’instrument que nous privilégions pour maintenir la réflexion dans le cadre d’une pratique clinique.

L’impression qu’il donne de l’extérieur – puisque les séances sont ouvertes−  est d’avoir une orientation philosophique. Il aide effectivement à dessiner une éthique de vie qualifiée d’épicurisme pragmatique, faisant le pont entre la recherche de plaisirs non préjudiciables et les réalités quotidiennes. Il incite indirectement à un carpe diem citoyen. Il conforte la liberté de chacun, en favorisant le discernement, le recentrage sur soi, en encourageant une pensée critique personnelle, un va-et-vient fécond entre le penser, le dire et le faire.

Le groupe des familiers

Le groupe des familiers fait partie des moyens mis à la disposition des proches pour évoquer leurs difficultés de positionnement face à la personne alcoolique, ainsi que leurs propres souffrances, dont la co-dépendance n’est pas le moindre des maux. Il fonctionne sur une base thématique comme les groupes du lundi et du jeudi. L’aide aux familles fait l’objet d’une fiche particulière.

Faute de moyens propres, les travaux de recherche, n’ont pas permis, à ce jour, de faire valoir l’importance des groupes impliquant des soignants de la sorte. Cette lacune, qui fait contraste avec la recherche autour des médicaments, sera peut-être comblée un jour !

 

Point pratique : Les thématiques et les comptes rendus des réunions

  •  Les thèmes de réunion sont mis à disposition sur le site, à l’avance, et sur les tables, en début de séance.
  • Les thématiques sont stockées sous le menu Réunions et Ateliers.
  • Les comptes-rendus des séances, groupe des pairs inclus, sont adressés par courriel aux adhérents.