14 mars 2022

 

Un de nos aidants avait relevé que de nombreux thèmes utilisaient le « et ». Avec le « et » précédant ou suivant le terme de problématique alcoolique ou addictive, selon la largeur du champ, le groupe pouvait discuter de tout, en utilisant l’éclairage particulier de ce qui nous réunit.

Par l’usage de cette conjonction, le groupe devenait un lieu de réflexion susceptible de favoriser un éclairage croisé.

Le mot « inculte » est un mot stratégique dans le processus de changement de la personne alcoolique. Nous pouvons remercier celle qui nous le fait mettre au menu.

Tout d’abord, nous pouvons plaider en faveur de l’effort de connaissance de la problématique addictive. Ce n’est insulter personne que de l’inciter à comprendre les ingrédients anatomo-physiologiques, psychosociaux, culturels ou sociétaux, qui entrent dans la composition d’une problématique addictive. C’est, au contraire, le respecter et faire confiance à son discernement. Nous sommes inégaux face à la curiosité intellectuelle. Chacun est libre de faire ce qui est réellement bon, sans se poser de question. Le plus pénible des interlocuteurs est celui qui croit savoir. Cette mésaventure concerne spécialement ceux qui ont des connaissances « pointues » dans un domaine. Le contraste est pourtant évident : dans les champs de la connaissance délaissés par leur orientation professionnelle, leur niveau de connaissance n’excède guère celui véhiculé par le sens commun. Elles ont des avis tranchés sur tout alors qu’elles ne savent rien. Elles ne doutent pas ! Un sous-groupe de cultivés méritent la mention : les dissociés. Leur niveau de connaissance générale est bon mais ils sont dissociés. Face à l’addiction, la « bête » met « l’ange » en échec. Il leur faut apprendre l’humilité et le réalisme. Face à l’addiction, ils ne seront pas les plus forts. Le clivage de la personnalité n’est pas un bon compromis.

Dans ces temps d’obscurantisme et de matraquage idéologique intense, la personne traitée d’inculte est celle qui use de son bon sens. Elle ne court pas après les modes. Elle ne se croit pas obligée d’approuver ce qui est donné pour le vrai, de s’enthousiasmer pour ce qui présenté comme admirable. En cas d’opinion divergente, elle ne manquera pas de censeur. Elle aura l’indécence de ne pas avoir « tout » essayé. Elle aura parfois même l’outrecuidance de ne rien essayer de ce qui heurte son bon sens, ce qu’elle appellerait son éthique, si elle s’était approprié ce mot, utile pour combattre la soupe de la moralité du moment.

L’inculture face au parasitage inutile est source de plaisirs naturels. Quelle joie pure de tout ignorer des réseaux sociaux, des potins et des intrigues des cours royales et des palais élyséens, des petites phrases des demeurés qui occupent le devant de scène. Si être inculte consiste à rester à distance du bruit et de la fureur du monde, à ignorer la superficialité du présent, vive l’inculture !

L’esprit critique s’aiguise, certes, au contact du réel et en fonction des dialogues. Il apprend à décoder le faux, l’approximatif véhiculé par la pensée paresseuse. L’idéologie déferlante l’appelle même, pour le dévaluer catégoriquement, de « réactionnaire ». Le réactionnaire s’oppose au « progrès ». Mais quel est le contenu et la forme du « progrès » ? La marche vers le désastre et la soumission générale, la guerre de tous pour tout ?

Refuser de (se) nuire par l’addiction est réactionnaire. Refuser les représentations sur le « bien boire », le « boire normalement », le « boire modérément », le « consommer festivement » n’est pas conforme. Sous le régime stalinien, tout individu qui n’approuvait pas la politique du Petit père des peuples était bon pour la Sibérie. Il était réactionnaire, corrompu, attaché aux valeurs des ennemis du peuple. Il était qualifié de « hyène dactylographe », s’il osait écrire un propos critique, et de « vipère lubrique » si sa langue formulait des réserves face aux affabulations officielles.

La culture est ordinairement l’ornement de la domination de la classe dominante. Les groupes dominés disposent aussi de culture ségrégationniste. J’admets sans peine, sans honte ni restriction ma profonde inculture pour tout ce qui ne m’intéresse pas. Mon inculture garantit ma liberté de jugement et évite l’encombrement de mon esprit.

En réalité, il n’existe aucune différence de fond entre ceux qui écoutent, lisent et essaient de rester éveillés et ceux qui usent de leur bon sens et de leur intuition face aux impostures.  

Vous êtes-vous réconciliés avec votre inculture ?

Êtes-vous prêts à la défendre – y compris par un effort de connaissance continue – face aux sirènes de la culture dominante, tant pour les addictions que pour le reste ?