28 novembre 2022

Un extrait de la fiche « Très bien merci » d’Emmanuelle Cuau, de 2007 pour illustrer ce thème :

Alex, comptable, et Béatrice, chauffeuse de taxi, forment un couple sans histoires. Un soir, Alex assiste à un contrôle d’identité et n’obtempère pas quand un uniforme lui demande de circuler…Un engrenage se met alors en marche. Alex se retrouve d’abord au poste de police où il passe la nuit. Il est conduit, le lendemain matin, à l’hôpital psychiatrique parce qu’il a exigé un peu trop obstinément d’être entendu du commissaire, désireux de se plaindre du mauvais traitement subi. Débarqué du fourgon, il est reçu par un interne débordé qui n’a aucun pouvoir de décision, alors que c’est la fin de semaine. Il devra attendre le lundi  pour être reçu par une psychiatre en blouse blanche, solidement assise derrière son bureau :

  • Madame, je ne suis pas à ma place !
  • Ici, Monsieur, tout le monde est à sa place.

Le plus saisissant est d’avoir constaté que cette entrevue, hautement significative, a été supprimée de la version DVD, comme s’il existait une version pour les spectateurs en salle, pour public averti, et une autre pour le tout-venant. Ce genre de soustraction d’images fait penser à des pratiques de pays que l’on disait totalitaires. Depuis, le procédé a été largement utilisé. Par exemple, il est devenu difficile de retrouver des images de héros, cigarette au bec…

On peut se demander à ce moment-là pourquoi, à aucun moment, notre malmené interné ne fait appel à un avocat – alors qu’il est convaincu de son bon droit.

Il se trouve que de très nombreux patients n’ont jamais été à leur place avant même d’avoir rencontré l’addiction. Ils ne sont toujours pas à leur place par la suite : que l’addiction persiste ou que l’addiction soit suspendue. À l’arrêt de l’addiction, plusieurs facteurs interviennent pour que l’intéressée ne trouve pas sa place. En premier lieu, interviennent les années alcool. Il suffit d’un rien, du moindre dérapage, pour que le passé se réactive sur le champ. C’est une des raisons qui plaide en faveur de l’abstinence totale, maintenue indéfiniment. Les concessions aux plaisirs partagés de la convivialité ou de la gastronomie peuvent avoir un prix exorbitant, de ce point de vue. Un autre aspect pèse de tout son poids. Les années alcool peuvent avoir induit une marginalisation au sein de la famille. Les habitudes et les préférences relationnelles existantes, du fait de l’alcool ou avant celui-ci sont bien en place. L’inertie du système-alcool se vérifie à l’arrêt du produit.

L’équilibre familial perturbé par l’arrêt de l’alcool tend à se reconstituer, comme un système régi par les lois de la pesanteur. Le nouvel équilibre est d’autant plus difficile à trouver que la réintégration au sein de l’espace familial peut s’accompagner d’une perte d’identité en raison, par exemple, de la retraite professionnelle. Ce qui assurait un équilibre n’existe plus. Il s’agit d’en trouver un autre.

Dans la société, comme dans les familles, la lutte des places fait rage. Malheur à celui qui est marginalisé ou qui peut le devenir. Les place sont souvent attribuées à l’avance. Il est difficile de trouver, de conquérir et de préserver une place compatible avec le plaisir de vivre.

Il est cependant impératif qu’en fonction de son contexte propre, en respectant autant que possible la liberté de son entourage, de vivre pleinement la sienne.

Avez-vous conscience d’être à votre place ? L’avez-vous trouvée ? Sinon, comment pensez-vous y parvenir ?