lundi 6 août 2012

J’ai appris ce mot, l’efficience, il y a déjà longtemps. Il m’a accroché tout de suite avant même d’en avoir saisi la signification précise. L’efficience est très exactement l’efficacité économique au sens de l’économie addictive ou de l’économie narcissique. Vous vous dites, après ces trois lignes, voilà qu’il commence à nous embrouiller. J’explicite donc un peu plus. Le milieu scientifique emploie ce terme d’efficience pour désigner la double qualité d’un acte ou d’un processus : économique par rapport au coût, économique car efficace par rapport à l’objectif qu’il vise. Ce mot semble issu tout droit du langage des technocrates et des financiers mais peut-être aussi des cliniciens. Il peut faire l’objet d’une réflexion en vue d’une appropriation et d’un retournement de logique politique.  L’efficience peut devenir un mot chargé d’une grande force explicative et subversive en s’opposant aux logiques du profit financier et des conservatismes. Il n’est d’ailleurs plus utilisé dans le vocabulaire de « La crise ». Je vais essayer d’illustrer mon point de vue à partir de deux exemples : la problématique alcoolique, la problématique individuelle.

Tout alcoolique à peu près lucide sait que l’efficacité d’une action de soin ne procède pas de la rationalité ou de la contrainte.  Le sujet peut avoir toutes les raisons de ne plus boire et boire cependant jusqu'à ce que mort s'ensuive. Il peut se servir des contraintes exercées sur lui pour transgresser encore à son détriment et ce même et surtout s’il est intelligent. Tout alcoologue à peu près raisonnable doit intégrer le paradoxe et la durée dans son soin.  L’efficience en alcoologie demande donc de s’en tenir à une méthodologie adaptée, un cadre de soin ouvert, un style relationnel et un contenu de savoirs diversifié et évolutif, passé au crible de la curiosité intellectuelle et de l’esprit critique. Les alcooliques ont besoin de soins efficients et c’est tout le contraire qui leur est proposé : des thérapies brèves non spécifiques, des injonctions, des hospitalisations-parkings, des molécules…

Quand un alcoolique s’avise de changer sa relation à l’alcool, il est tout sauf efficient. Il a presque tout à réapprendre ou carrément à apprendre en ce domaine. Il doit changer son rapport au temps, aux actes, aux émotions, apprendre à choisir des partenaires et ses objets d'investissement - ou les vivre autrement, s'ouvrir à des éclairages et à des champs de connaissances insoupçonnées, revoir ses opinions les plus anciennement établies. Je tente une définition, le souci d’efficience, c’est la chasse au gaspillage et la quête des bonheurs accessibles.

Comment devenir efficient à titre individuel et collectif ? Voici l’objet de notre réflexion du jour.