lundi 13 février 2012

Ma promenade en Aquitaine m’a fait entendre Gérard Ostermann lancer l’idée d’une journée de congrès sur « Confiance et soin ». J’ai repris la balle au rebond, lui proposant par voie électronique mes services pour traiter le thème de la confiance en alcoologie. Nul besoin d’attendre sa réponse. J’en ferai le quatrième thème de l’ouvrage de Bacchus sur l’alcoologie au quotidien.

Pour lancer plaisamment le thème, je dirai, en préambule, que la confiance doit être combattue sans pitié dans les premiers temps de la relation soignante en alcoologie.

L’alcoolique a commencé sa carrière en accordant une confiance illusoire et destructrice en la dive bouteille. Nous avons, comme soignants, à lui prescrire la défiance comme principe de soin :

  • défiance dans la bouteille,
  • défiance à l’encontre des soignants, possibles ganaches mercantiles ou individus mal dans leur peau, attachés à soigner chez les autres ce qu’ils ne savent voir et soigner en eux,
  • défiance envers l’entourage, même bienveillant, à cause des bénéfices secondaires souvent rattachés à l’addiction en dépit des souffrances infligées,
  • défiance envers soi, au-delà de la notion passablement débile de « confiance en soi »,
  • défiance générale !

Surtout, donc, aucune confiance a priori, mais au contraire une défiance systématique, méthodique, rigoureuse, ouverte.

La confiance est d’abord une paresse de l’esprit. Elle équivaut au degré zéro de l’esprit critique, du discernement, du courage nécessaire. Elle rejoint la crédulité et la superstition.

L’alcoolique doit acquérir la défiance du renard des sables, à la différence qu’il est loin de disposer de son agilité et de sa résistance. L’apprivoisement est à l’ordre du jour. Il est réciproque.

Une difficulté propre à la dépendance alcoolique est que le sujet fait confiance à son ennemi, l’alcool, équivalent de « bonne mère », supplément de force, et aux alliés de celui-ci, la facilité, le conformisme… plutôt qu’à ses partenaires de combat potentiels. Sa dépendance psychique à l’alcool favorise une confusion permanente : il s’allie à ses adversaires, il écarte des alliés potentiels. Il surévalue ses forces. Il néglige les réalités. Il s’effondre aux premières difficultés, retrouvant sa bouteille ou, du moins, ses fonctionnements les plus stériles.

Si la défiance est indispensable, elle est quelquefois difficile à constituer sur de bonnes bases. Comment se fier à l’intuition - à l’origine d’une défiance salvatrice-, quand on est sous influence, sous influence de ses produits, des valises qu’on se traîne, d’une mauvaise opinion de soi, de l’amicale ou inamicale pression de l’entourage ?

Comment savoir distinguer entre un soin utile et un soin préjudiciable ?

C’est là qu’intervient la première rencontre avec un soignant. Quand la rencontre s’effectue sous l’influence de l’alcool ou le désir de l’entourage, la meilleure rencontre possible risque d’être une occasion manquée. Une ambivalence excessive fait pencher en faveur du mauvais choix : le retrait du soin ou l’adoption d’un soin inadapté.

Une relation de soin suppose que les conditions d’une relation égalitaire soient créées au plus vite. C’est une des raisons du sevrage. L’alcool n’est plus là. Une relation plus équilibrée devient possible.

Avant même la rencontre, l’effet d’ambiance est à privilégier. C’est l’effet « salle d’attente ». L’alcoolique doit sentir qu’il est en droit d’être alcoolique et qu’il est dans un lieu approprié pour examiner la question, en dehors de tout jugement de valeur.

La rencontre se fait dans le strict respect de la liberté de chacune des parties.

Le patient a le devoir de savoir à qui il va confier une partie de son destin et de quoi se compose l’offre de soin qui doit lui être détaillée. Il ne peut s’en saisir qu’à la condition d’en comprendre le sens. C’est l’intention des livres ou DVD proposés. A priori, le soignant ne sait pas ce qui est le mieux pour le patient. Au final, ce qui est le mieux tient dans ce que le patient est prêt à accepter. Le fait que le patient manifeste une motivation qualitativement insuffisante est la règle. Pourtant, le désir du soignant, comme celui de l’entourage, doit s’accorder avec le désir du patient. C’est bien de l’éventualité d’une alliance qu’il est question. Le patient n’est ni client ni consommateur de soin. Payer sa consultation lui donne juste le droit et le devoir d’être co-acteur de son rétablissement. L’esprit d’assisté est un fléau pour établir une relation d’égalité.

Le soignant n’est pas à vendre. Il ne déambule pas sur un trottoir dans l’attente d’une sollicitation complétée par une transaction. Son temps est précieux et sa disponibilité suppose une réciprocité au moins potentielle. Il est conduit à évaluer, lors de la première rencontre mais aussi lors des rencontres ultérieures, la présence de l’alcool, l’impact d’un lien d’emprise familial ou conjugal, le poids de l’histoire, la force des défenses, du déni et des attributs psychopathologiques associés, des préjugés et des positions de vie en cours. Les configurations psychiques actuelles sont plus formatées pour la consommation de partenaires successifs que pour le développement de liens durables. Le soignant doit accepter de vivre conjointement un sentiment d’empathie pour l’autre et de souci de lui-même, indispensable à la qualité de la relation thérapeutique. Il ne doit rien attendre et être prêt à recevoir.

Le soignant fait confiance à l’aléatoire et aussi à la force implacable des réalités. Parfois, l’alcoolique voit s’offrir une chance et il est en situation de la saisir. Souvent, il s’entête et rencontre le mur. Si le sujet manifeste sa persévérance à faire lui-même son propre malheur, le soignant peut seulement le lui signifier pour éviter de se caricaturer au sauveur et renforcer le système d’infantilisation.

Le soignant justifie la confiance qu’on lui accorde par une parole vraie, donc une praxis, qu’il s’efforce de rendre pertinente. Le sujet trace sa route. Et parfois, miracle non exceptionnel, l’alliance thérapeutique se change en confiance solide, amicale et féconde.

Alors, défiance, confiance, problème mal posé ?