Lundi 9 Octobre

  Au-delà des apports, spécifiques ou non, des différentes psychothérapies, un consensus s’est établi sur ce qui rendrait un soignant efficace : l’implication. Nous pouvons relever qu’en ce qui concerne les personnes souffrant d’un problème d’alcool, l’équivalent du mot est la motivation. Le patient alcoolique est réputé être « sans demande ». Il est aisé d’imaginer le résultat d’une rencontre entre deux partenaires indifférents, n’espérant rien de cette confrontation. Une autre notion fait consensus. Elle consiste à faire l’avance de la parole, d’une parole créant la motivation chez le buveur. Il n’est pas commun, lors de la première rencontre, que le patient ait admis la nécessité de s’abstenir de boire pour une durée indéterminée, en évitant l’horrible adverse : jamais ! Á l’exemple du cancéreux à qui le praticien apprend la mauvaise nouvelle, le sujet passe presque obligatoirement par une succession d’états : l’incrédulité (je n’en suis pas), le refus (ne plus boire, inconcevable pour moi !), la négociation (en retardant peut-être le premier verre), le découragement voire l’abattement (c’est au-dessus de mes forces !), la dénégation des moyens  (aidez-moi, mais épargnez-mois « l’enfermement » et surtout les réunions de groupe) avant d’évoluer vers une acceptation collaborative (Dans mon cas, que proposez-vous ?). Une forme d’aveuglement peut suivre l’arrêt de l’alcool : tout va bien, j’ai compris, je ne boirai plus jamais). Elle aide le sujet à ne pas être accablé par les événements indésirables qui marqueront son parcours de soin. Le patient alcoolique ajoute quelques caractéristiques supplémentaires quand le déni se fissure. Une dénégation manipulatoire prend souvent le relais. Il fait sa démarche pour les autres, dans la finalité tactique d’abuser l’entourage et de boire encore et toujours, fusse avec modération, en se donnant l’illusion de contrôler sa façon de boire, tout en amusant la galerie.

Comment penser l’implication du soignant dans ce contexte ? Il n’est pas sans savoir que la plus talentueuse des équipes indépendamment même de son génie particulier n’influencera qu’une petite part du résultat à court et moyen terme. Paradoxalement, la conscience de son impuissance à aider son interlocuteur peut devenir le socle de son implication. En effet, il n’a pas à se soucier du résultat, puisque son rôle se réduit à des « presque rien » qui cependant peuvent faire la différence. Telle est la glorieuse incertitude de l’alcoologie. Convaincu que le cadre d’accompagnement le plus souple, le plus fiable et durable qui soit ne peut au mieux que doubler les chances de réussite, il peut s’investir tranquillement dans les tâches qu’il doit assurer vis-à-vis de son patient pour que ce dernier soit en mesure de jouer sa partie dans les meilleures conditions. Une des premières missions du soignant, sans doute la plus facile, avec un peu d’entrainement, est de soulager le patient de sa honte. Son attitude est le signe qu’il ne porte pas de jugement à priori. Bien au contraire, conscient de la difficulté de la tâche, son sentiment dominant est une humilité ouverte : je ne pourrais strictement rien si vous n’y mettez pas du vôtre. Les « pairs » l’aident beaucoup dans cette tâche. La partie est très compliquée et l’ennemi toujours redoutable. A ce moment- là, intervient l’appétence intellectuelle du soignant pour la problématique alcoolique, la clinique relationnelle, un désir de mettre en commun. Plus qu’on ne le croit, le patient aspire à comprendre. Il serait regrettable qu’il soit confronté à un soignant aux questions et réponses prévisibles. Le souci de faire connaître la problématique alcoolique est de l’ordre d’une passion que le soignant a envie de partager. Pour que cette dimension de la fonction soignante existe, le praticien doit en mesure de mobiliser toute sorte de grilles de lecture susceptibles d’intéresser son interlocuteur. Son discours ne doit donc pas être formaté par les connaissances médicales. Il doit littéralement oublier sa caractéristique professionnelle et ce qu’elle véhicule comme postures et connaissances pour devenir un élève participatif. Une relation réussie, porteuse de changements, suppose un plaisir dans l’échange. Des ponts doivent se constituer. La relation doit être vivante, fonctionner sur le mode de la réciprocité, parfois même de la complicité. Le soignant gagne à voir dans le patient un autre lui-même, singulier et différent. Un des éléments de l’implication du soignant est d’avoir conscience que chaque rencontre lui permettra de saisir de nouveaux fils de la problématique à laquelle il est confronté, tout en apprenant chaque jour, un peu plus sur lui-même et sur la vie. Il imaginera, au contact de ses patients, d’autres devenirs.

Qu’avez-vous à dire sur l’implication : la vôtre, celle de vos proches, celle du soignant ?