Lundi 4 décembre 2017

‘’Addict’’ est un mot qui équivaut dans le langage d’aujourd’hui à ‘‘passion’’. D’abord, il est anglo-américain, ensuite, il se moule dans l’idéologie de la consommation. Il évoque la pulsion irrépressible, d’où une marque de rouge à lèvres à ce nom. Il n’est pas nécessaire de réfléchir ou d’aimer si l’on est ‘‘addict’’. L’immédiateté et l’intensité sont les critères privilégiés : la sensation doit être extrême, surtout, elle ne peut être différée : c’est maintenant, tout de suite. C’est l’addiction que visent les Black Friday. Black (Sombre ? Sinistre ?) pour qui ou quoi au demeurant ? Pour les économies des ménages qui se précipitent en colonnes serrées pour acheter de l’inutile, de l’obsolescent, quitte à d’endetter et devoir se passer du nécessaire ou du meilleur par la suite ? Il est question de promotions, de records de vente : « Un I-Phone X est vendu toutes les 17 secondes » titre la page d’accueil de Google. Une fraction non négligeable des enfants de l’élite fait le choix des écoles de commerce, classées en fonction des portefeuilles d’adresses qui ouvrent à l’avenir radieux du management et de la vente. Fût-ce celui des armes à feu, qui battrait des records aux USA. Comme si le lieu géométrique du cerveau se situait désormais dans les noyaux gris et les circuits de la récompense, de la compulsion.
De nos jours, la passion devient désuète, suspecte, incompréhensible.
Nous avons à la redéfinir.
La passion n’est pas la réaction comportementale à une opération publicitaire et encore moins une attitude grégaire. Elle est souvent lente à se mettre en place, à se développer, à s’étoffer. Elle tolère la frustration. Elle permet la patience, exerce la ténacité. Elle met en jeu le discernement. Elle n’est pas éphémère. Elle résiste aux épreuves. Elle mobilise la réflexion, l’effort de connaissance. Elle évite les risques inutiles. Elle apprend la prudence. Elle arme la volonté. L’objet – chose, personne ou activité – n’est pas instrumentalisé ou détourné de sa signification. La vraie passion admet le rire et la distraction au sens pascalien, c’est à dire l’ouverture d’esprit qui enrichit l’objet investi, avec les activités annexes qui le confortent et le nourrissent. Le jour de l’épreuve de philo au Bac (coefficient 8, alors que toutes les autres matières avaient un coefficient 1 ou 2) avait failli être un jour noir pour l’auteur de ces lignes. Il avait déchiré les pages ternes de son exposé, au 2/3 du temps imparti, pour rédiger, avec force ratures, une réponse personnelle à la question « Sommes-nous responsables de nos passions ? ». En gros, l’idée rédigée à la va-vite était : Pas forcément au commencement, encore moins quand la passion est en cours car elle domestique alors toutes les ressources de l’individu.
Faites-vous une différence entre addiction et passion ?
Quelle relation aux sensations et au sens ?