Lundi 5 février 2018

Il existe au moins deux conceptions de l’altruisme, qui peuvent d’ailleurs coexister, l’intérêt pour l’autre qui revient à l’oubli de soi, et ce que nous pourrions appeler « l’altruisme tempéré », qui prend simultanément en considération les intérêts de soi et de ‘‘l’autre’’.
L’altruisme de dévouement se retrouve dans différents contextes et modes relationnels.
L’amour maternel est donné comme exemple d’altruisme parental. La centration sur l’enfant, qui peut être devenu un adulte, associe amour, dévouement avec, cependant, la possibilité de mettre des limites. En effet, à moins de considérer l’altruisme comme une aliénation affective, la notion de réciprocité, même asymétrique, ne peut être étrangère à « l’objet investi ». Autrement, cet altruisme manquerait son but, celui d’associer l’amour et l’intention éducative, avec un retour affectif et, pourquoi pas, de la reconnaissance et du respect. Notons, pour ne pas tomber dans le sexisme, que des hommes peuvent manifester un amour démesuré, voire suicidaire pour leurs enfants, en référence avec le père Goriot, le célèbre personnage de la Comédie humaine de Balzac.
Des dévouements aveugles sont ou ont été demandés à des populations ou à des corporations. Ainsi l’amour de la patrie a-t-il peuplé les cimetières. De la même façon, il est souvent demandé aux cadres d’une grande entreprise de se transcender pour la prospérité des actionnaires. La défense de la Cause a produit et produit des résistants, des terroristes, des kamikazes. Dans la religion chrétienne, l’amour du prochain justifie une attitude de charité envers les démunis. Il convient cependant de relever l’ambigüité d’une charité qui néglige les causes du malheur social, en se préoccupant exclusivement d’apaiser les souffrances induites par le système politique économique et social. Inversement, il ne manque pas de bons apôtres médiatiques qui appellent à l’altruisme alors qu’à titre privé, ils font preuve d’un égoïsme forcené tout en usant et en abusant de leurs privilèges, tout aussi à l’aise dans le dit-système…
Jérémy Bentham (1748-1832) a théorisé une philosophie rationaliste appelée l’utilitarisme. Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, il ne s’agit pas d’une simple incitation à un égoïsme intelligent. Nous pourrions effectivement défendre l’idée que pour être heureux, il est nécessaire de veiller à ce que son entourage soit lui-même satisfait de notre fréquentation. L’utilitarisme préconisé par Bentham ̶ et par Stuart Mills à sa suite ̶ vise à prendre en compte l’intérêt du collectif avant les intérêts particuliers. Nous renvoyons chacun aux sources d’information de l’altruisme utilitaire.
L’alcool a ceci de particulier est qu’il transforme le plus altruiste des individus en ‘‘monstre d’égoïsme’’, dans la mesure où son attachement à l’alcool finit par passer avant tout autre considération affective. Personne n’est heureux au sein du système-alcool. Personne ne l’est non plus dans un système marqué par la dépression.
Concernant la problématique alcoolique, l’altruisme renvoie à des règles précises. L’aide apportée aux autres par son témoignage, ses prises de paroles lors des séances de groupe, l’absence de jugement, l’écoute, l’expérience des comportements liés à l’alcoolisation complétée par celle des difficultés de la période ‘‘sans alcool’’ et même de la période ‘‘hors alcool’’, constitue l’essentiel de l’altruisme, parallèlement à la disponibilité liée à la fonction d’aidant. Cet altruisme vise à créer pour soi un espace d’humanisation, de sécurité affective et de réflexion. L’altruisme qui se manifeste au sein de l’espace thérapeutique n’est pas contradictoire avec sa propre sauvegarde et ses intérêts bien compris.
Pour le proche, l’altruisme consiste à se recentrer sur soi et les enfants et, dans la mesure du possible, au moment d’une démarche, à se limiter aux mesures de sauvegarde nécessaires, aux actes qui signifient « Assez ! », sans procéder à des règlements de compte inappropriés. La reconstruction du lien est toujours lente, plus aisée habituellement avec les enfants. Le lien peut perdurer et trouver un bon équilibre comme parents, faute d’avoir pu le faire vivre au sein du couple.
Le soignant doit toujours se demander quelles ont été les raisons de son choix professionnel, plus particulièrement quand il s’agit de problématique alcoolique. Notre ouvrage sur « Les représentations de l’alcoolique » peut nourrir la réflexion de tous, de ce point de vue.
Certains se fuient par le choix de l’altruisme. D’autres ou les mêmes s’ignorent en instrumentalisant l’autre.
L’autre a une place différente dans la relation à la période de l’alcool, à celle de « sans alcool » et par la suite.
Sartre avait lancé : « L’enfer, c’est les autres ! ». Tous les autres ? …ou quels autres ?
Quelle est votre conception de l’altruisme ?
Quelle place donnez-vous à l’autre dans votre vie ?
Avez-vous fait des progrès en altruisme depuis le commencement de votre parcours sans alcool ?