​​​Lundi 12 Février 2018

Le sentiment d’être étranger est logiquement vécu par un étranger lorsqu’il débarque dans un pays pour y vivre. Il peut devenir douloureux parce que le sujet n’y trouve pas sa place et parce qu’il ressent à son encontre des manifestations de xénophobie ou de racisme, si son apparence physique, vestimentaire ou ses mœurs ne sont pas acceptés par la population autochtone.
Le sentiment d’être étranger dépasse cependant de loin le cas précité, propre aux mutations induites par le libéralisme et les effets paradoxaux de la décolonisation pour les anciens empires, notamment français et britanniques.
Pour ce qui est de la problématique alcoolique, le sentiment d’être étranger est un phénomène souvent différé. Au stade des alcoolisations d’intégration, des alcoolisations dites « festives », le sujet a la délicieuse sensation d’être ‘‘comme tout le monde’’, c'est-à-dire conforme à son groupe d’appartenance. L’installation de la perte de contrôle, les conséquences des alcoolisations sur la vie relationnelle et sociale, l’accentuation de la souffrance morale et de la désorganisation psychique mettent fin à l’état de grâce initial. Désormais, le buveur se sent à part, il doit se cacher pour boire. Il est mis à l’index par ses entourages, ses alcoolisations l’isolent. Il ne se reconnaît plus. Il se sent devenir étranger à lui-même. Il pourra retrouver son identité par l’effet de la resocialisation liée à la rencontre d’aidants, du groupe de parole. La relation psychothérapique d’accompagnement lui permettra de se retrouver et de se découvrir. Il sera alors en mesure de se relier aux autres de façon authentique.
Les autres addictions participent aux phénomènes de marginalisation, soit par les structures de soin – centre d’addictologie, structure de cure et de postcure généralement construite sur le modèle de l’institution psychiatrique –, soit par les traitements psychotropes modificateurs de conscience, soit par la capacité d’isolement et de transformation des personnalités que réalisent aujourd’hui les abus du numérique. L’individu a le sentiment d’être devenu étranger à son environnement : ses proches, la relation au travail et la vie sociale concrète. L’entourage ne le reconnaît plus. L’hyper-modernité, avec ses grandes surfaces commerciales et ses achats en ligne, participe aux phénomènes de dépersonnalisation.
Cette même société hypermoderne accentue fortement le sentiment d’être étranger. La diffusion constante d’informations tronquées successivement démenties jusqu’à tomber dans l’oubli sans qu’une clarification n’ait été apportée, l’occultation ou inversement la montée en épingle de grands problèmes de société sont à l’origine d’un sentiment d’impuissance, qui donne à tout individu le sentiment d’être étranger dans le monde qu’il habite. A moins d’adhérer aux valeurs de la société hypermoderne : l’argent-roi, l’obsession de l’image, l’inculture, le primat des émotions, la virtualisation généralisée des relations humaines, l’esprit de compétition, l’intolérance à ce qui n’est pas soi, le curieux mélange d’un puritanisme agressif et d’une extravagante permissivité donne à l’individu simplement moderne ou « classique » le sentiment d’être devenu un parfait étranger à cet environnement pathogène.
Faut-il pour autant renoncer à être ? Certainement pas : dans son propre intérêt et dans l’intérêt de ceux avec lesquels nous devons vivre car, nous l’avons vu récemment l’altruisme ou ce que l’on appelle la charité bien ordonnée prend en compte le bien-être des autres pour en retirer les bénéfices pour son propre épanouissement.
Vous sentez-vous en phase avec vous-même et votre environnement ?
Avez-vous le sentiment d’être étranger là ou vous vivez ?
Que faites-vous concrètement pour atténuer ce que le sentiment d’être étranger a de pénible et en faire le meilleur usage possible ?