Lundi 7 mai 2018

 J’exploite sans fausse honte les questionnements de Corinne. Pour aujourd’hui, le thème sera celui de la mort. Pour rendre notre discussion attractive et joyeuse, je vous propose d’examiner la question à partir de la formulation suivante : « Nos naissances et nos morts ».

Il est fréquent d’entendre dans des réunions de personnes alcooliques sobres l’idée de renaissance déterminée par l’arrêt de l’alcool. Cette perception est loin d’être immédiate et généralisée. Elle existe cependant. Que signifie-t-elle ? C’est à vous de le dire. Je peux cependant indiquer quelques pistes. Vivre, c’est se sentir plus libre. De ce point de vue, ne plus être dans la nécessité de boire apporte un réel soulagement. Retrouver ou construire un espace affectif reposant sur la réconciliation avec soi-même et la découverte de semblables-différents aimables est une rupture avec l’univers des relations illusoires ou conflictuelles. Retrouver, enfin, la maitrise de sa pensée et la capacité de s’efforcer de comprendre le monde dans lequel nous vivons est une autre satisfaction, garante de notre indépendance et de notre sécurité. Loin de l’alcool, une attitude philosophique détache des plus contraignantes servitudes. La philosophie nous permet d’affronter les différentes vicissitudes, dont la finitude et la mort, avec plus de légèreté.

Les humains, à la différence des animaux aux cerveaux moins développés, ont toujours fait preuve d’inventivité pour conjurer la perspective de la Fin. Ils ont procréé, soucieux de survivre par leur descendance. Ils ont créé des œuvres plus ou moins durables. Ils ont élaboré des croyances destinées à les rassurer quant à leur devenir, au-delà de leur disparition. Certains même se sont imaginés en fantôme habillé de blanc, capable de traverser les murs des châteaux. Une des voies privilégiées aujourd’hui pour avoir l’impression d’exister est la communication et la propagation de son image. La science médicale est depuis longtemps convoquée pour maîtriser les maladies, réparer les dégâts, prolonger la vie et même l’enrichir, si on peut dire, de la promesse d’éternité. C’est la volonté des hypermodernes, des trans-humanistes, des cyborgs, des techno-utopistes, des hackers et tous ceux qui veulent résoudre le modeste problème de la mort, s’il faut en croire Mark O’Connell (Aventures chez les transhumanistes ; éd. L’échappée, 2018).

 Avez-vous eu la sensation, au cours de votre existence, d’être né, plusieurs fois, ou mort, et dans quelle(s) circonstance(s) ?

Quel est actuellement votre position sur votre finitude et votre mort ? Et quand est-il pour celle de vos proches les plus proches ?  

Quelques annotations en marge de ce thème qui pourront, qui sait, servir à des ajouts utiles pour la Clé du temps.

Une observation du matin, un jeune homme de trente ans fait, par lui-même, l’expérience de l’impossibilité d’une consommation contrôlée. Il y a plusieurs mois, il avait connu une période sans alcool, avec l’aide du Baclofène à haute dose. Il n’avait pas encore la pleine conscience de la perte de capacité à consommer de façon banale. Pour atténuer sa frustration et lui donner la possibilité de vérifier la réalité de sa pathologie, je lui avais donné comme éventualité l’usage ponctuel et très limité de la prise d’un peu de ‘‘bon’’ vin à l’occasion de repas améliorés. Il dispose de deux parents trop aimants, trop bienveillants. Il n’a jamais endossé véritablement ses responsabilités comme adulte. Il a pris, laissé, a été repris puis laissé par son amie qui le protégeait aussi. Il gagne en discernement et en acceptation. Il accepte, cette fois, l’Espéral ainsi que le petit manuscrit sur « L’empathie, ses variantes, ses pièges et ses limites ». Il faut du temps pour armer une conviction qui donne un nouveau sens à une vie.

Lors de mon dernier passage à « Ombres Blanches », j’ai fait l’acquisition de trois livres que je lis en parallèle. J’ai déjà cité celui de l’irlandais Marc O’Connell. Je découvre également le livre de Jean Gabriel Ganascia « Le mythe de la singularité, faut-il craindre l’intelligence artificielle ? » (Science ouverte. Seuil, 2017). Il serait démontré, avec les promesses de l’intelligence artificielle, que les humains deviendront totalement inutiles. Le futur n’aura plus besoin de nous. La plongée journalistique de Philippe Baqué, « Homme augmenté, humanité diminuée » (Agone, 2017) nous fait emboiter ses pas, du chevet de sa mère atteint de démence aux élucubrations des intellectuels transhumanistes. Dans la première partie du récit, il établit de constat de la médicalisation de la vieillesse par l’extension de la notion d’Alzheimer, alors que les molécules mises sur le marché, et remboursables par l’ALD (Longue maladie) sont d’une efficacité négligeable. Le refus de mourir se conjugue avec cette volonté lucrative de médicaliser à outrance et de prolonger une vie qui n’a plus rien d’une vie.