Lundi  3 Décembre

Comment justifier le paradoxe de cette interrogation ? En toute rationalité, un fort n’est pas faible, un faible n’est pas fort. Cependant, quand un faible se heurte à l’adversité, à moins d’accepter par avance son sort, il doit se poser la question de ce qui peut lui permettre de trouver sa place dans ce vaste monde et, pourquoi pas, d’être bien dans sa peau.

Quelles sont les images de la force, aujourd’hui ? Au plan personnel, nous pouvons distinguer la force physique, les forces intellectuelles et morales, un environnement favorable, des moyens matériels et financiers. D’un point de vue sociétal, les forces qui pèsent sur nos vies ne manquent pas : pouvoir de l’argent, pouvoir coercitif des lois, avec des forces de l’Ordre qui s’y rattachent, violences des groupes épris de certitudes agressives, pouvoir économique pesant sur les possibilités de travail et de rétribution, pouvoir de contrôle et d’influence de l’opinion par les médias de masse, poids de la pensée unique véhiculée par nos entourages.

Notre perception comme être fort ou faible est en partie subjective. Elle peut concerner des domaines très différents. Nous adopterons pour notre échange le point de vue des « faibles ». Je peux me ranger parmi les faibles pour de multiples raisons. Physiquement, par exemple, je n’ai rien d’un athlète, mais cela ne me dérange pas car je ne me soucie pas (ou plus) de mes performances, même par amusement. Disposant d’une nature non agressive, bien que vindicative par moments, je n’ai jamais aimé faire le coup de poing ou le fort-en-gueule. Ma force se situerait plutôt dans mon indifférence à me mesurer aux autres. D’un point de vue financier, j’ai très souvent été en situation critique ou précaire, du fait de cette même indifférence pour mon compte en banque. Seul le souci de rester libre de mes mouvements et, dans une certaine mesure, de mes actes, ainsi que la tranquillité de ma famille, me conduit à être un minimum attentif à ne pas m’exposer excessivement au pouvoir de l’argent. Cette liberté n’est pas assurée par le fait que le travail, même qualifié, n’est pas correctement rétribué. C’est un combat à ne pas négliger sans pour autant s’y aliéner. L’argent rend fou, dit-on, et, sous cet angle, j’entends rester sain d’esprit.

Ma force, comme individu faible, est d’identifier mes limites et de rechercher chez les autres ce qui me fait défaut. Mes désirs étant ce qu’ils sont je manque parfois de bon sens. En revanche, je n’envie personne. Ne disposant pas des moyens techniques et du savoir faire de certains outils nécessaires, je compte sur les autres pour me les procurer, avec un souci de réciprocité. Je ne fais pas mienne cette formule : « ce qui est à moi m’appartient, ce qui est à toi on en discute ». Dans la mesure où j’entends être respecté, je me soucie de respecter les autres et s’ils ne sont pas respectables à mes yeux je m’en tiens éloigné autant que faire se peut. J’applique la règle des droits et des devoirs partagés.

Je m’accorde une certaine intelligence mais cela ne représente pas pour moi une garantie car je ne me sais en rien infaillible et parce que, en outre, je sais que mes interprétations et mes conclusions des réalités sont loin d’être partagées par tout le monde, en commençant par mes interlocuteurs. J’accepte d’être minoritaire voire isolé, si j’estime ma conviction fondée.

La force des faiblesses se situe, en définitive, du côté de leurs aptitudes de discernement, de leur structuration éthique, du côté de leurs désirs et de leur créativité.

Je pense enfin que les faibles peuvent se réunir dans des formes de non-violence et de solidarité active. Ils peuvent aussi travailler leur souplesse d’adaptation, savoir ruser quand il le faut, à la façon d’Ulysse face au Cyclope, être habile, tenace et courageux quand c’est indispensable. La plus grande force des faibles en définitive est de rester soi-même face à la barbarie et à la bêtise. L’optimisme des faibles consiste à miser sur la part de bonté et d’intelligence qui, sait-on jamais, pourrait subsister chez quelqu’un ou dans un groupe persuadé de sa force.

Quelle est votre opinion sur la force des faibles ?

Quel usage en faites-vous ?