Lundi 07 Janvier 2019

Je cherchais depuis un moment ce qui pourrait terminer la série des 4 conférences, après les variantes de l’empathie, la discussion sur les croyances associées à la spiritualité puis l’autorité. Il m’est venu « Le bon sens ». Ce thème peut faire l’objet d’une étude aussi approfondie qu’éclairante, sans jamais s’éloigner de la problématique alcoolique.

Le bon sens – à la différence du sens commun – ne procède pas de l’évidence ou de l’usage. Il n’est pas communément partagé. Toute situation inhabituelle l’interpelle. Il est souvent absent : celui qui n’a pas  l’ombre du sens commun est bien à plaindre mais nombre de décisions sont prises en dépit du bon sens.

Le bon sens ne dépend pas des idées reçues. Le bon sens suppose de bonnes capacités d’observation, d’analyse et d’interprétation, une familiarité aiguisée avec l’objet qui va le mobiliser. Le bon sens met inévitablement en jeu la subjectivité de celui qui s’en réclame. L’objet ne l’impose que dans la mesure où il est suffisamment connu car les apparences sont trompeuses, comme chaque sait.

Le bon sens suppose donc de connaître la problématique alcoolique, dans ses différents aspects. C’est là un premier niveau de difficulté. Nombreux sont ceux pour lesquels l’expression n’évoque rien. En tombant dans le jargon commun, le terme de problématique a perdu sa signification diachronique. Pourtant, la relation à l’alcool évolue dans le temps. Les racines de la problématique sont antérieures à la prise du premier verre. La période alcool est elle-même très évolutive, celle du sans-alcool a une durée variée et elle correspond à bien des épisodes. Le hors-alcool est une possibilité aux contenus très différents, selon le « travail » que le dépassement de la dépendance aura initié. L’image la plus appropriée est celle d’un fleuve, avec ses sources, les ruisseaux et rivières qui l’alimentent successivement, avant qu’il ne prenne son lit et son débit final jusqu’à se perdre dans la mer. 

Le bon sens a du mal à se frayer un chemin entre les autres expressions de la vie mentale. Nombre de parti-pris ou de discours ne sont que le décalque ou l’habillage d’intérêts trop méprisables pour s’exprimer comme tels. Les meilleurs moralistes ou pamphlétaires, de Molière à Rivarol ou Chamfort, ne s’y sont pas trompés. Le bon sens peut ainsi prendre une tournure ironique ou paradoxale.

Le bon sens peut être invoqué pour faciliter la résignation, le retour à l’état antérieur. Il est habituellement synonyme de modération, de sens des proportions. Il incite à relativiser ou, au moins, à prendre du recul. Il permet de ne pas courir après la dernière émotion collective qui passe, à « consommer un produit ». Pourtant, le bon sens peut se conjuguer avec un souci d’anticipation. Le recul auquel il incite parfois peut nourrir une décision de refus.

Nous pourrions réfléchir à ce qui fait obstacle au bon sens, à ce qui y ramène, à ce qui le nourrit. En alcoologie, bien sûr.