Lundi 15 Juillet 2019

Je propose un sujet très pratique et en même temps clinique : le bon moment pour arrêter… de boire.

À un autre niveau, le mien, la question peut également se poser, avec un niveau de complexité analogue.

Il existe, en effet, à côté des facteurs rationnels, des éléments d’incertitude et d’autres éléments d’ordre psychologique et affectif.

Le bon moment pour arrêter de boire est, en fait, une question très compliquée.

Existe-t-il une saison plus favorable que d’autre ? L’été, est celui de la sortie de son cadre, mais aussi les événements festifs peuvent se présenter plus nombreux. Surtout l’accompagnement est en sommeil ce qui n’empêche pas de bonnes lectures. L’automne est un nouveau départ, comme le printemps, quand les journées s’allongent. L’hiver permet de prendre quelques jours pour soi…

Et que dire des jeunes pour lesquels la tenaille ne s’est pas encore complètement refermée ?

Arrêter de boire, seul, dans son coin, peut être dangereux si la dépendance est physiquement en place. En cas de nécessité de consommer quotidiennement de l’alcool, il est conseillé d’amorcer une décroissance, ce que l’intéressé fait souvent par simple bon sens, en supprimant les alcools forts, en réduisant les quantités bues. Cette décroissance peut être assistée par une prescription simple. Mais cette décroissance, de durée limitée, n’a de sens que si elle fait partie d’un projet thérapeutique, le temps que l’abstinence est comprise comme un moyen indispensable pour progresser vers la sobriété mentale. Celle-ci est une façon de penser et d’agir en se dégageant des défenses employées pour persister dans l’addiction ou la laisser revenir : le déni, les illusions de consommation contrôlée, les prétextes, la victimisation, les reports de la décision à plus tard.

Le désir d’arrêter de boire est toujours fragile, au début, d’autant que les conditions de la démarche de soin apparaissent habituellement, sans que ce désir ait pu s’élaborer. L’émergence du désir suppose une lassitude devant la répétition des alcoolisations. Comme il se dit, le sujet doit en avoir marre d’en avoir marre. Quand un événement fortuit survient, mettant brutalement l’accent sur le problème, le murissement de la décision n’a souvent pas eu le temps de survenir. L’abstinence est envisagée spontanément comme une abstinence d’objectif, avec un caractère temporaire : permis de conduire, période religieuse, ou grossesse. À ce propos, dans le passé, la grossesse était un enjeu qui donnait à la jeune femme alcoolique la force de ne pas consommer pendant le délai imparti. Depuis quelque temps, les cas où la femme continue de boire, en sachant pertinemment le risque encouru par le fœtus, ne sont plus exceptionnels, pas plus que de nouvelles grossesses alors que les enfants précédemment nés sont déjà placés en famille d’accueil ou confiés au père correspondant.

Comment conforter et nourrir le désir d’arrêter de boire ? Les mises en demeure conjugales ont un impact très inconstant, même conduites avec adresse, en se recentrant sur soi, en n’hésitant pas à rompre le consensus de tolérance mou, alimenté par les promesses non tenues et toujours renouvelées. Les personnes sobres savent combien c’est difficile d’inciter le buveur en activité à faire le pas. Il y a, certes, l’effet d’entraînement des groupes de pairs, des mouvements. Et les enfants, en dépit de leur absence de jugement et de leur délicatesse, ne sont guère mieux lotis. Une suggestion par un tiers neutre peut avoir un impact à des mois de distance, avec l’accumulation de nouveaux déboires. Le silence et le détachement sont souvent les meilleures attitudes.

L’alcoologue clinicien doit être là quand le bon moment est susceptible de se faire jour, y compris à l’occasion d’une obligation de soin. Ce genre de personnage est une espèce en voie de disparition. Il n’est pas prévu dans l’éventail de soignants spécialisés par les Pouvoirs publics en addictologie. De quels atouts dispose ce type de soignant ?

De sa neutralité bienveillante, bienveillante du fait de ses connaissances de la problématique et du fait de sa familiarité avec des personnes ayant « réussi » à changer leur vie. J’insiste sur ces deux points.

Bien des alcoologues centrés sur la correction des comportements n’ont pas la vision psychosociale, philosophique et politique qui convient pour relativiser les difficultés rencontrées d’un point de vue psychopathologique et relationnel.

Cette vision large et évolutive s’exprime idéalement dans le groupe de parole qu’il devrait animer. Le défaut de sensibilité relationnelle s’explique chez certains par la réalité de leurs défenses et, d’une façon plus générale, par un statut addictif parfois dénié ou encore par l’absence de réponse aux questions que  se posent directement ou non les personnes consultantes. Un alcoologue clinicien ne dispose pas des réponses, pour la simple raison que les réponses diffèrent selon chaque patient. En revanche, il peut proposer à chaque patient d’adopter sa pratique de remise de question, telle qu’il la pratique systématiquement dans son groupe de parole. En agissant ainsi, les réponses ne sont jamais arrêtées, une fois pour toutes. Elles sont évolutives et elles s’approfondissent.

Le second point pose la question de l’accompagnement, qui fait défaut à la plupart des alcoologues institutionnels. Dans les centres d’addictologie, le suivi reste centré sur la consommation. Dans l’accompagnement psy-alcoologique, l’objectif à horizon indéfini est le hors-alcool.

  • Quel a été, pour vous, le bon moment pour arrêter de boire ?
  • Pouvez-vous distinguer les éléments précis qui en ont fait le « bon moment » ?

Si j’ajoute quelques lignes pour parler du moment où je devrais arrêter de pratiquer l’alcoologie clinique, je dirai que peu d’éléments de décision m’incombent. Je suis prêt à tout mais je n’ai pas « la main ».

Si l’ARS est d’accord sur le fait de payer la constitution d’un rapport documenté précis pour renouveler et approfondir l’offre de soin en médecine de ville, je répondrai présent. Si elle est d’accord pour donner à l’équipe de soignants et d’aidants les moyens de continuer et d’accueillir de nouveaux soignants, je ferai également mon devoir de transmission, de recherche de bons équipiers et j’assurerai le passage de relais.

Si l’ARS oppose une (nouvelle) fin de non-recevoir, il me restera à boucler les deux conférences (nous avons vu que la Municipalité nous refusait la mise à disposition de la Maison de la Diversité – affaire en cours) avec deux livres-support et à rédiger un livre grand public. Je devrais accepter alors le principe de réalité lié aux impossibilités fonctionnelles. Peut-être deviendrais-je écrivain ? Comme dit, Fanny, dans le Raison et Sentiments (Jane Austen) de la BBC : « C’est économique, cela demande peu de moyens » ; juste assez de talent et la chance de rencontrer un éditeur.