05-02-2024
A priori, réfléchir sur l’intérêt général dans le cadre de la problématique addictive, qui plus est à notre époque résolument individualiste et consumériste, peut sembler pittoresque ou tout au moins décalé. La notion même peut être suspecte : parler d’intérêt général, n’est-ce pas une façon manipulatoire de masquer des intérêts particuliers ? Ceux qui gouvernent les autres n’ont-ils pas une propension à évoquer l’intérêt général pour masquer leur position de pouvoir, leurs privilèges et, bien souvent, leurs abus de confiance ?
Je vous propose de vous exercer à une mise en situation de cette notion en la rapprochant d’autres notions qui nous sont familières, telles que celle d’une personne comme équation ou encore le schéma des cercles de résilience, toutes deux explicitées dans le livre bleu.
Le terme « d’intérêt » ne doit pas prêter à confusion, en ce qu’il appartient au langage des banquiers. Il est à entendre comme une attention particulière, une priorité à ne pas négliger. Il est facile de comprendre qu’il requiert la mise en jeu de l’esprit critique, du sens du relatif, d’une éthique de responsabilité. Evoquer l’intérêt général suggère d’être prêts à abandonner une part de nos désirs et conforts particuliers. Il s’oppose à la jouissance sans limite, à la démesure, à la pensée paresseuse, à la courte vue, au culte de soi et de son image.
Il n’y a pas un intérêt général qui surplomberait une myriade d’intérêts particuliers mais plutôt un assemblage d’intérêts généraux qui se superposent ou s’opposent.
Comment le décliner en pratique pour la problématique alcoolique ?
La personne affectée par une addiction peut avoir la sensation d’être plusieurs : celle qui voudrait se réaliser, celle qui voudrait s’étourdir, celle qui a soif et celle qui a d’autres préoccupations. Elle peut se voir comme une entité complexe et procéder aux arbitrages utiles.
Elle ne va pas supprimer la composante addictive de sa personnalité. Elle peut l’affaiblir par la non-consommation, transférer son besoin d’addiction sur des centres d’intérêts plus anodins, qu’ils prennent ou non un caractère dominant. L’arrêt de l’addiction lui ouvrira d’autres horizons.
Au niveau familial, la même méthode peut être appliquée : amélioration et/ou clarification des relations et si besoin, comme pour l’addiction la plus préjudiciable, mise à l’écart de celle ou celui qui rend la maîtrise de vie impossible, tout en s’ouvrant à d’autres relations. Le tout est de trouver un point d’équilibre entre soi et l’entité familiale, de permettre à chacun de se trouver des sources de satisfaction qui accroissent l’harmonie au lieu de la compromettre.
Nous devons toujours prendre en compte que l’intérêt d’un groupe peut s’écarter de l’intérêt général qui répond, par définition, à des règles éthiques. Un groupe, une classe ou un fragment de classe sociale, un corps de métier, une entité collective quelconque peut se comporter en aveugle, aveuglée par ses intérêts particuliers.
Schématiquement, deux mouvements sont possibles : du particulier au général, du général au particulier. L’expérience humaine est plus en faveur du premier mouvement que du second, ce qui implique l’intervention de dialogues et d’arbitrages, soit à peu près le contraire ce qui a lieu dans des sociétés ayant tourné le dos à l’esprit de l’intérêt général. Le pas de côté devient légitime quand la seule règle admise est que le particulier se soumette à la loi générale quand elle est l’expression d’intérêts particuliers inavoués ou qu’elle est manifestement contraire aux intérêts particuliers. Il en est de même du refus ou de l’opposition déclarée.
Voici donc de quoi nous faire réfléchir aux équilibres à trouver pour vivre au mieux de nos intérêts particuliers qui se nourrissent de l’intérêt général à des degrés divers.
Comment avez-vous établi ces équilibres, depuis votre démarche de libération de l’addiction ?