Comme chaque mois de mars, les journées d’alcoologie de la Société Française d’Alcoologie (SFA) ont eu lieu. La thématique retenue était particulièrement ambitieuse puisqu’il s’agissait de réfléchir auxdéterminants de l’efficacité thérapeutique. 

S’interroger, par exemple, sur ce qu’est un bon résultat en alcoologie n’a guère de sens en soi, si l’on considère que la problématique alcoolique est l’affaire d’une vie entière et, d’autre part, que la dépendance n’est pas le seul problème de santé publique posé par les consommations d’alcool.

Les études médicaux-économiques sur les médicaments et les psychothérapies soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponse. Est-il réellement légitime de réunir sous la même rubrique une réflexion sur les médicaments et sur les psychothérapies ? De même s’interroger sur les trajectoires et les processus de changement est une bonne question qui peut difficilement être clarifiée par une approche généraliste. 

Les soignants ne manquent pas d’évoquer la motivation et les ressources du patient, ce qui suggère de s’intéresser de près à ce dernier. Le professeur Brousse de Clermont-Ferrant a posé le problème des comorbidités psychiatriques. Là se situe un facteur majeur dans les difficultés de l’efficacité thérapeutique. Il n’est que trop évident que les profils de personnalité ont profondément changé au cours des trente dernières années. Il n’est pas très sérieux de considérer les problèmes d’addiction en faisant abstraction des difficultés psychiques sous-jacentes. 

Le professeur Carmen Schröder de Strasbourg a insisté sur les rythmes de vie et particulièrement sur les troubles du sommeil. Cette question mérite toute notre attention car elle intervient directement dans le rapport au temps et dans l’état de notre humeur et de notre énergie. 

Après avoir survolé les facteurs individuels influençant les résultats, les journées ont abordél’intervention des facteurs environnementaux. Les obligations de soin sont des occasions précieuses de rencontrer des personnes en difficulté avec l’alcool. L’alcoologie sociale souligne indirectement le fait que les addictions sont un puissant facteur de marginalisation dans la société. La place de l’entourage dans l’aide au patient ne peut être discutée de façon générale, compte tenu de l’hétérogénéité du dit entourage tant sur le plan des liens affectifs, des relations intra et extra familiales que des différents milieux d’appartenance. Il a été fait référence au psychologue américain Thomas Gordon qui s’est appliqué à la résolution des problèmes intra-familiaux.

Une place assez large a été réservée auxmouvements d’entraide et à la notion de patient-expert. Comme l’a dit avec un certain humour Jean-Claude Tomczak, les « dépendant avérés » ne résument pas la totalité des personnes dont la façon de boire est préjudiciable. L’approche relationnelle des personnes en difficulté s’en trouve modifiée. La notion de patient-expert commence a se préciser. Les « dépendants avérés » constituent les meilleurs interlocuteurs possibles des personnes entamant une démarche de soin sous réserve d’une supervision, qui vaut également pour les soignants. L’intérêt des séances de psychoéducation a été souligné. Une équipe doit pouvoir en assurer régulièrement, en mélangeant les participants et en s’ouvrant, de temps à autre, au grand public.

La question du placébo, c’est à dire de l’effet positif de l’attitude du soignant ou de sa prescription, a fait l’objet d’une discussion intéressante. La limite du placébo, nous le savons, est son épuisement avec le temps. Il n’y a sans doute pas de bon résultat à espérer dans la durée, en l’absence d’un travail d’élaboration psychique efficace. Les journées ont permis de faire état de deux études (Alpadir du Professeur Michel Raynaud et Bacloville du Professeur Philippe Jaury). L’opinion que nous pouvons avoir quant à l’utilité et l’efficacité du Baclofène est désormais stabilisée. Cette molécule a donné lieu à un effet placébo exceptionnel. Les modalités de découverte – le hasard et l’observation – ont été mises en valeur par un ouvrage bien écrit et porteur d’espoir  émanant d’un cardiologue alcoolique, le docteur Olivier Ameissen. La « découverte » a été relayée par une association d’usagers, puis une campagne médiatique autour du « médicament- miracle ». Les patients alcooliques ont accepté avec enthousiasme de prendre un nombre considérable de comprimés par jour, en dépit des faits indésirables non négligeables, dans l’optique d’une guérison qui leur permettrait de consommer normalement de l’alcool. Ces illusions sont désormais derrière nous. L’engouement pour le Bacloféne a montré – hélas – la force du modèle médical dans la problématique alcoolique. Cette vision fait le jeu de l’industrie pharmaceutique tout en entretenant une confusion sur le devenir d’une dépendance à l’alcool, dont on ne saurait guérir comme d’une maladie consécutive à un facteur extérieur. Le Bacloféne reste un médicament intéressant pour initier une rencontre soignante. Il est assez souvent efficace contre le craving − le besoin irrépressible de boire. Il se trouve des « bons répondeurs » pour une posologie « raisonnable », entre six et dix-huit comprimés par jours (quand même). L’abus compulsif de comprimés a valu des passages aux Urgences. Il n’a pas été déploré de mort, heureusement. L’arrêt de l’alcool est très rarement obtenu par l’effet de cette seule molécule. Il convient, le plus rapidement possible, de passer aux choses sérieuses, avec la mise en place d’un projet thérapeutique où la dimension psychothérapeutique est essentielle. 

Il a également été question, encore une fois, du repérage précoce de l’intervention brève (RPIB). En substance, le médecin généraliste doit se risquer à parler d’alcool quand un motif de consultation pourrait suggérer sa présence. 

Les journées se sont terminées sur une intervention du Docteur Hassan Rahioui sur le thème de la psychothérapie interpersonnelle basée sur l’attachement, approche enseignée aux USA, dans la logique des nombreux travaux anciens et récents sur les besoins de sécurité affective du jeune enfant. 

Au total, donc, de très nombreuses bonnes questions prolongées par un silence persistant sur les moyens qui seraient nécessaires pour relever le défi de Santé publique posé par la problématique alcoolique, les addictions et les difficultés psycho-pathologiques associées.