Ce sera le C3A ‘‘François Gonnet’’

​​​​​​​Notre centre d’accompagnement en psychopathologie alcoolique s’est donné un sigle, le C3A, ou centre d’accompagnement en alcoologie et addictologie, mais il n’avait pas de nom propre. Ce sera le C3A ‘‘François Gonnet’’.

Il y a longtemps, dans les années 90, j’avais répondu à une invitation de l’équipe d’alcoologie de Lyon. Un panneau discret confirmait que j’étais au bon endroit : C2A. Le docteur François Gonnet en était le praticien responsable, avec Alain Cattin, comme psychologue clinicien. J’avais retrouvé ce jour- là, pour un dialogue élargi, Daniel Settelen, psychiatre et psychanalyste, auteur d’un remarquable ouvrage comme expert judiciaire de l’affaire Jean-Claude Romand, une personnalité schizophrène, narcissique et clivée, auteure de l’assassinat de sa famille quand l’imposture de sa vie allait devenir publique.
Depuis longtemps déjà, François Gonnet avait laissé ses endoscopes de gastro-entérologue pour s’occuper à temps plein des personnes alcooliques qui séjournaient dans les services de médecine interne. Membre reconnu de la Société française d’alcoologie, il avait accepté de parrainer mon entrée dans la dite-société,avec l’appui parallèle d’un neuropsychiatre, clinicien et formateur éminent, le docteur Lionel Bénichou. Mon troisième parrain était en réalité une marraine, Annie Catel-Begin, également membre des Alcooliques anonymes et du conseil d’administration de la Société française d’alcoologie.


Dès 1990, j’avais attiré à Bagnères-de-Luchon mes trois parrains pour une conférence sur le ‘‘Système alcool’’ avec le docteur Céline Aquilina responsable de la formation du diplôme d’alcoologie à Toulouse. Deux films – les premiers films-outils–étaient issus de cette journée. L’élan était donné pour développer une activité d’alcoologie dans l’établissement d’accueil représenté ce jour-là par deux jeunes surveillantes. Les premiers aidants de la future AREA étaient présents aussi, ravis de découvrir l’histoire de la « merveilleuse Madame Dupont », si bien racontée par François Gonnet. Ses talents d’orateur et de pédagogue, servis par une présence, une expérience clinique et de solides références culturelles, ont été utilisés par la suite, d’année en année lors des journées de l’AREA, ouverte à un large public. François s’impliquait en parallèle dans les sessions de prévention, contribuant à la naissance d’une structure d’intervention en entreprises.

Clinicien de la parole, François Gonnet a publié plusieurs articles de référence ainsi qu’un très précieux recueil de ‘‘Lettres à la famille’’, dont il a fait cadeau à l’AREA, après avoir pendant des années apporté son éclairage aux familiers de l’alcoolique dans un centre d’alcoologie, proche de Lyon. Dans l’intervalle, François était devenu un des très rares amis professionnels que j’ai eu la chance et le bonheur de côtoyer.
Il enseignait que la frontière entre le consommateur-connaisseur de vin et l’accoutumé-dépendant pouvait être mince. Il n’hésitait pas à dire que son investissement comme praticien avait peut-être contribué à ce qu’il reste du bon côté de la passerelle. Quand il quittait sa péniche à quai sur le Rhône, c’était de plus en plus pour retrouver ‘‘son’’ île grecque qui lui donnait la sensation d’être hors du temps, même si elle comportait une base d’hélicoptères pour touristes off-shore.

Parmi nos points communs, il y avait celui d’avoir été déclassé à l’hôpital pour son choix d’alcoologue. Dans la postface d’un de mes ouvrages au titre ternaire « L’alcoolique, le proche, le soignant », il avait souligné le refus partagé d’accepter la position de ‘‘sous-médecin’’ pour des ‘‘sous-malades’’. Lui, moi et quelques autres, nous n’avons pas empêché grand-chose. Le soin psy-alcoolique n’a pas été en situation de s’organiser. La clinique alcoologique s’est diluée dans une addictologie dominée par les « thérapies brèves », antithèses comportementales au principe de l’accompagnement ouvert et éclectique que nous avons toujours essayé de proposer aux personnes en difficulté avec l’alcool.
François Gonnet avait parfois souri du volontarisme donquichottesque manifesté à Toulouse. Le C3A ‘‘François Gonnet’’ en est le dernier avatar humoureux. En alcoologie clinique, pour persister, il est nécessaire de constamment convertir l’illusion en espérance. C’est ce à quoi nous nous employons encore pour éviter tout regret. Nous avons encore le temps d’écrire quelques lignes avant la déferlante imperturbable des robots.
Nous essaierons, courant janvier 2018, de combiner l’inauguration du C3A ‘‘François Gonnet’’ en présence de l’intéressé et de quelques amis alcoologues, avec une soirée de réflexion sur le thème de …l’incertitude.