Lundi 18 novembre 2013
Les circonstances font que cette thématique est d’actualité pour nous puisque j’ai accepté de participer à un après-midi de dialogues, organisé par Nathalie Grondin (NG), une vidéo-cinéaste avec laquelle nous avons tourné des clips vidéo explicitant plusieurs de nos concepts-clés (problématique alcoolique, groupes de parole, clés…). NG va prendre quelques minutes, jeudi prochain, par un enregistrement vidéo pour me demander pourquoi j’ai accepté de participer à cette rencontre qui aura lieu le samedi 7 décembre − la liste des intervenants et le déroulement exact ne sont pas encore complètement fixés− à « L’espace des diversités et de la laïcité », rue d’Aubuisson. Je viens de rédiger une contribution en 24000 signes sur le thème de la violence dans la problématique alcoolique. Il serait intéressant de récidiver sur le thème des « processus de victimisation dans la problématique alcoolique ». Dès lors, l’aborder en groupe s’impose.
De mon point de vue, les processus de victimisation représentent une incitation à exercer notre discernement. Un des éléments passionnants de cette thématique est le lien qui se noue entre les données objectives et les processus de victimisation proprement dits. Les données objectives sont souvent montées en épingle ou falsifiées pour aboutir à une idéologisation du fait victimaire. Tout se passe désormais comme si une compétition s’engageait à tout propos pour s’imposer comme victime, demander réparation ou, tout au moins, être exonéré de toute responsabilité. Le processus de victimisation devient alors, au minimum, une expression de la pensée paresseuse. Pourtant, un fait – un préjudice subi − n’équivaut pas à un « statut ». Une évidence dégagée – un préjudice, une injustice, une discrimination − permet d’occulter d’autres faits, d’autres réalités, d’autres interactions que celle du bourreau et de la victime (Lire, à ce sujet, le livre de Pierre Bayard : « Aurais-je été résistant ou bourreau ? » aux éditions de Minuit.).
Le sentiment de culpabilité et la honte, mais aussi le déni des réalités, le manque de courage et d’équité, alimentent la tentation victimaire.
Des conditions objectives induisent un processus de victimisation qui peut s’intégrer dans la stratégie des dominants qui le mettent en œuvre. Le harcèlement professionnel, par exemple, fait partie des moyens mis en jeu pour se débarrasser d’un salarié devenu indésirable. Ce processus objectif, souvent dissimulé ou dénié, peut trouver d’autres réponses que le positionnement de victime. D’autres ressources peuvent être mobilisées : l’esprit critique, la capacité à exposer le problème, la recherche d’alliés, de solutions, la mise en jeu de solidarités, l’organisation d’une résistance. Encore faut-il disposer de ces ressources.
Le triangle de Karpman fait connaître au proche trois statuts successifs : ceux de sauveur, de persécuteur et de victime.
Avez-vous occupé le statut de victime, comme alcoolique ou à un autre titre ? Quelles ressources avez-vous privilégié pour abandonner le positionnement de victime ?
Les processus de victimisation ne peuvent que passionner les cliniciens attachés aux problématiques alcooliques et addictives.
Il existe des processus objectifs et des processus subjectifs de victimisation.
Les processus objectifs de victimisation produisent leur lot de victimes. Ils peuvent correspondre à des soubassements économiques, politiques, sociaux, sociétaux, juridiques, idéologiques, familiaux, relationnels. Certains sont montés en épingle, d’autres sont justement dénoncés, d’autres sont soigneusement occultés.
Les processus subjectifs de victimisation émanent de la victime elle-même, qu’elle subisse des phénomènes objectifs qui lui soient extérieurs, qu’elle les intériorise au point de les reproduire et d’induire des réponses inadaptées qui aggravent sa situation.
Il est indispensable de s’interroger sur les origines et sur les significations d’un processus de victimisation pour tenter de suspendre le processus et d’en inverser le cours.
Les processus subjectifs concernent le soin psychique et alcoologique.
Les processus objectifs concernant la problématique alcoolique représent un problème politique qui met en jeu la société.
Dans la problématique alcoolique, les deux processus sont plus liés qu’on ne le croît du fait de l’inadaptation du soin et de l’impréparation de la société à accueillir des personnes devenues différentes. Qui plus est la société ne donne pas les moyens et les réponses qui permettent aux personnes d’éviter les processus de victimisation.
C’est donc aux victimes possibles et aux « déjà » victimes de trouver elles-mêmes les réponses pour prendre la mesure du processus, en commençant par refuser le statut de victime.
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Très certainement, j’aurai rédigé un projet d’article en 24000 signes pour cette date mais je tiens à cet échange avant d’expédier mon travail à un éditeur possiblement intéressé.