Lundi 12 janvier 2015

L’individu sans appartenance n’est pas viable.

Notre société hypermoderne tend à produire toujours plus d’individus isolés par les effets de destruction du lien social qu’elle induit. Plus elle met l’accent sur la compétition, plus elle génère l’exclusion.

L’identité par le travail est remise en cause non seulement par le fait qu’il n’y a pas de travail pour tous mais par le fait que l’emploi n’est pas garanti dans le temps, qu’il est souvent déqualifié ou, inversement, sectorisé, fondu dans l’idéologie du ‘‘chacun pour soi’’ et de la productivité financière. Une notion s’est faite jour : le précariat, contraction de deux mots.

L’identité familiale est en souffrance par l’effacement de la famille traditionnelle, les liens familiaux devant se redéfinir au cas par cas, dans l’aléatoire de leurs recompositions.

Les identités culturelles avivent les oppositions entre générations et populations, plus qu’elles ne rassemblent ou transcendent les différences particulières.

Les identités collectives telles la référence à une nation sont elles-mêmes remises en question, par l’existence d’entités supranationales et de dirigeants économiques, politiques et médiatiques, en passe de se constituer en nouveau groupe dominant.

L’alcool est un ingrédient du lien social aussi traditionnel que superficiel. Il ne saurait masquer davantage le « racisme par omission » qui s’applique aux personnes alcooliques.

Le sentiment d’appartenance ne peut être ignoré car il participe fortement à l’estime de soi, au sentiment d’avoir le droit de vivre et de revendiquer ce droit comme tel.

Le sentiment d’appartenance est un facteur de résilience, en ce qu’il symbolise un lien social.

Dans un de ses ouvrages(1) : le sociologue Laurent de Gaulejac oppose la lutte des classes, concept selon lui dépassé, et la lutte des places, notion omniprésente dans nos sociétés hypermodernes. Je ne suis pas vraiment d’accord avec cette opposition. La lutte des places existe à l’intérieur de tout groupe social, dès qu’il n’est plus transcendé par un objectif commun. Dans la mesure où il est nécessaire d’exister visiblement pour rencontrer l’autre et pour faire ce qui plaît, de trouver sa place, il est nécessaire de manifester qui on est, sans avoir besoin de chercher à écarter l’autre, ou de se mettre artificiellement en valeur. La lutte des places prend une tournure agressive quand la personne se sent mise en compétition. La lutte des classes a toujours existé pour les groupes dominants. Ceux-ci trouvent naturels de tirer profit du travail et de la disponibilité des dominés et la façon dont ils les rétribuent accroît leur puissance. Les dominants ont naturellement conscience d’appartenir à une « élite ». Il a été question, historiquement, de conscience de classe quand les dominés, dans leur diversité de situation, ont pris conscience du dominateur commun que représentait l’exploitation et la dévalorisation à leurs dépens. Une des ruses des dominants est de leur faire croire qu’ils n’existent que comme catégorie sociale.

De quelles façons, l’arrêt de l’alcool peut-il permettre de réinvestir ces différentes identités en crise ? L’identité d’alcoolique ne peut-elle faire liant social, via l’association de réflexion et d’entraide ? L’identité collective d’aidants en alcoologie n’est-elle pas un équivalent de conscience de classe, source potentielle de revendications et de transformations sociales, notamment pour l’offre de soin elle-même ?