baclofeneL’AFSSAPS (Agence Française de Sécurité SAnitaire des Produits de Santé) qui s’appelle maintenant ANSM (Agence Nationale de Sécurité du  Médicament) n’autorise pas les « praticiens expérimentés dans la prise en charge de l’alcoolo-dépendance » à prescrire le baclofène dans le but de réduire le besoin irrépressible de boire de l’alcool (ou craving).  Elle le tolère, sans pour autant préciser qui elle considère comme « praticiens expérimentés »  et sans faire mention des conditions de sa prescription ni des conséquences médicolégales pour les dits praticiens en cas de préjudice induit.

Nous ne disposons pas encore du recul nécessaire pour évaluer les bénéfices et les inconvénients, directs et indirects, de l’usage de cette molécule et des modalités de sa prescription : mise en place de la prescription « efficace », durée de son maintien, rythme de décroissance, utilité d’un traitement d’entretien, intérêt de lui associer d’autres molécules agissant sur l’appétence à l’alcool ou ayant un effet dissuasif. Une étude vient de débuter, une autre est prévue pour la fin de l’année.

Une des gros inconvénients du Baclofène est la fréquence de problèmes de somnolence et de concentration, si nécessaire à la conduite automobile et à l'activité intellectuelle, notamment pour le travail psychique demandé aux personnes en démarche d’abstinence. Cet inconvénient pose directement la question de la responsabilité légale du prescripteur en cas d’accident, d’autant que la prise de Baclofène est compatible avec une consommation persistante d’alcool. Avec la sensibilisation opérée par le « scandale du Médiator » et la facilité des procès intentés aux praticiens en ces temps de pénurie pécuniaire, c’est un point à considérer. 

Le second inconvénient est l’extraordinaire diversité et l’imprévisibilité des effets secondaires possibles, certes réversibles. La plupart sont gênants, spectaculaires, ou paradoxaux. Leur liste est longue : céphalées, acouphènes, vertiges, douleurs radiculaires ou musculaires, « étau respiratoire », insomnie… De façon anecdotique mais significative, certains patients expliquent qu’ils doivent se forcer à boire, sous Baclofène, pour obtenir l’effet recherché : détente, ivresse légère… D’autres se plaignent d’une agueusie.

Ces effets peuvent apparaître pour des posologies basses, de l’ordre de 30mg alors que l’effet anti-craving s’observe majoritairement de l’aveu même de l’association AUBES qui en défend l’usage extensif à des posologies nettement plus élevées que celle admise (120mg) pour des pathologies telles que la Sclérose En Plaques (SEP) ou les contractures douloureuses des paraplégies. Pour accroître la tolérance et éviter des abandons prématurés du Baclofène, il est conseillé de respecter la progression de l’AMM (Autorisation commerciale de Mise sur le Marché) par 5mg, en respectant des paliers de 3 à 5 jours, avec retour à la dose antérieure pendant quelques jours, en cas d’apparition d’un effet indésirable, pour faciliter l’accoutumance. Cette nécessité souligne que la prescription ne peut être dissociée du suivi.

Un troisième inconvénient du Baclofène réside dans le caractère imprévisible de la dose qui va permettre la neutralisation du « besoin irrépressible », en fonction du lieu, de l’horaire, d’une sollicitation visuelle ou émotionnelle.

Un quatrième inconvénient est de laisser croire que le Baclofène serait le médicament de la consommation contrôlée chez le dépendant alcoolique. La prescription participe, dès lors, au discrédit de la démarche d’abstinence et du soin psychique à proposer. La méconnaissance de la problématique alcoolique s’en trouve renforcée dans l’esprit des patients, du grand public et des décideurs. L’alcoologue serait en devoir de se transformer en machine à délivrer des ordonnances de Baclofène, sous peine d’être accusé de non-assistance à personne en danger ; à charge pour lui de discuter ensuite interminablement par téléphone ou voie électronique des effets indésirables ou des variations de posologie.

Au cours de l’entretien laissant place à la prescription, il doit être clairement signifié au patient que le Baclofène :

  • ne peut tenir lieu de projet thérapeutique ; il n’est pas un traitement de substitution au travail d’élaboration psychique, spontanément dénié ;
  • n’est pas une alternative au sevrage qui s’impose chez le sujet dépendant de l’alcool, sevrage réalisable en ambulatoire ou au cours d’une hospitalisation.
  • Le modèle médical (un symptôme = un médicament) ne convient pas à la pathologie, quels que soient les résultats, tangibles (1/3 des cas au moins) et même spectaculaires, de la prise de cette molécule pour des patients confrontés à « l’irrépressible besoin de boire ».

À ce jour, un des grands mérites du Baclofène a été de faire sortir de l’ombre, plus efficacement encore que les obligations de soin prononcées par les juges, nombre de patients qui n’osaient pas entreprendre de démarche, en raison de leur honte ou de leur difficulté à penser une issue à leur problème d’alcool. La médiatisation opérée a ainsi permis ainsi des rencontres inespérées avec des personnes ayant dépassé le stage du déni fondamental : « Je ne suis pas alcoolique ». Nous avons, comme alcoologues, à défendre le point de vue de la complexité de la problématique alcoolique et souligner plutôt les insuffisances et les inadaptations de l’offre de soin, notamment  en termes d’accompagnement psychothérapique de proximité.

En conséquence, le traitement ne devrait être entrepris qu’avec le consentement éclairé du sujet. Le consommateur doit être informé des effets indésirables et s'engager à ne pas rompre avec le schéma de prescription établi, en dehors d’une concertation avec le prescripteur. Prudence formalisée et pédagogie ouverte, par conséquent, pour éviter toute « perte de chance » à la relation thérapeutique esquissée par une illusion : la molécule qui fait boire normalement.

Henri Gomez - Toulouse - septembre 2012