Mientras dure la guerra

Réalisation : Alejandro Amenábar

Scénario : Alejandro Amenábar

                  Alejandro Hernández

 Date : 2019

Durée : 107 mn

Acteurs principaux :

Karra Elejalde : Miguel de Unamuno

Santi Prego : Francisco Franco

Eduardo Fernández : José Millán-Aastray

Patricia Lόpez Arnaiz : Maria de Unanumo

Mireia Rey : Carmen Polo

SA

Mots clés : intellectuel – dictature – courage – clairvoyance - ambiguïté

 

 

Le film d’Amenábar est esthétiquement réussi. L’Espagne est mise en valeur tant dans son architecture de l’époque que dans ses paysages. Il n’est pas possible de ne pas être sous son charme. Le film est pédagogique en ce qu’il montre que la mise en place d’une dictature est un processus qui peut rapidement s’imposer quand les conditions politiques sont réunies. L’histoire est d’abord celle de Miguel de Unamuno, universitaire et écrivain célébré. Elle est couplée avec l’arrivée au pouvoir du Général Franco qui règnera en dictateur sur l’Espagne de 1936 à sa mort en 1975.

Deux personnalités se dégagent de l’histoire sans s’affronter. L’intellectuel apparaît pusillanime, ambigu. Il a soutenu l’arrivée de la junte contre le front populaire espagnol. Il accepte d’être nommé recteur à vie de l’Université de Salamanque. Il devient ainsi la caution intellectuelle d’un putsch, peu soucieux de démocratie. Il laisse les militaires s’emparer de ses meilleurs amis, en raison de leurs opinions socialisantes ou d’une appartenance à la franc-maçonnerie. Lui-même a défendu des opinions progressistes dans le passé, ce qui explique la persistance de ces amitiés. Pendant que les désordres et les arrestations se précisent, il fait la sieste. Santi Prego campe un Franco, quelconque, sans charisme, plutôt gentil et calme, économe en mots, face à ses collègues de la Junte. Il ne faut pas se fier aux apparences.

Je me souviens d’avoir participé à une grande manifestation en 1975 pour essayer d’empêcher le régime franquiste de garroter deux basques dissidents. Paul VI, le pape du moment, avait demandé au dictateur d’épargner les deux hommes. Et le cortège, entre deux chants militants, entonnait et répétait « Franco, salaud, le pape aura ta peau ». C’était avant.

L’intellectuel et la politique

Amenábar pose, dans ce film, la double question de l’arrivée au pouvoir d’un régime liberticide et de l’incapacité d’un intellectuel reconnu à prévoir cette évolution. Dans un sursaut d’honneur, face à l’évidence de son erreur, Unamuno dénonce la dictature à l’occasion de la célébration du « jour de la race espagnole ». Ironie du contexte, c’est l’énergique Carmen Franco qui lui permet de sortir indemne de l’amphithéâtre en le prenant par la main. Deux mois tard, il meurt.

Au-delà de cet épisode de la Guerre d’Espagne, le film nous interroge  sur ce qui permet l’impensable en politique et sur le caractère essentiellement décoratif de nombre d’intellectuels.

Il est certes des mouvements de l’Histoire qui s’apparentent à des lames de fond. Les phénomènes annonciateurs ne manquent pas cependant, sur des années et même des générations. La plupart du temps, les têtes pensantes refusent de jouer les oiseaux de mauvais augure. Quand bien même elles s’efforcent de développer des analyses pondérées des situations critiques qu’elles appréhendent, le Pouvoir ne les écoute pas. Les sources d’explosion sociale s’accumulent et, à un moment, tout bascule.

Le silence fait sur les addictions et les transformations des personnalités, l’inadéquation du système éducatif et de santé, les effets du délitement de la famille, la disparition des sources de repères et de résilience, l’effacement de la culture générale et de l’éthique ne peuvent rien amener de bon. Le choix de l’anesthésie, du déni et des faux-semblants promet de pénibles réveils. Le dire est longtemps inaudible et quand le pire survient, il est trop tard pour entendre.