Réalisation : Pavel Lounguine

Scenario : Pavel et Aleksandr L

Durée : 120mn

Acteurs principaux :

Knesia Rappoport : Sofia

Ivan Yankovskiy: Andréï

Maria Kourdenevich : Lisa

Igor Mikurbanov : Oleg

Pavel Zaporozhets : le croupier

A/SA

Mots clés :

Jeu – Opéra – Ambition – Manipulation – Violence

 

ladamedepique

 

Andreï est un jeune homme prêt à tout pour parvenir à ses fins, tout comme Hermann, le héros du récit de Pouchkine et de l’opéra qu’en a tiré Tchaïkovski. Sofia Mayer, grande diva de retour en Russie, a en projet une mise en scène grandiose pour une soirée exceptionnelle de La Dame de pique. Andreï veut absolument le rôle d’Herman.

Une relation trouble se développe entre Sofia et lui pour qu’il entre dans la peau du personnage. Tout est intriqué, ainsi sa relation amoureuse avec Lisa, son amie dans la vie, également retenue pour l’opéra. Lisa est la fille d’une autre chanteuse, supplantée par Sofia avant qu’elle ne devienne célèbre. Elle déteste Sofia, d’autant que celle-ci lui vole Andreï. Également intriqué :  le basculement d’Andreï, dans l’addiction au jeu, à l’image d’Herman, et sa liaison avec Sofia.

Oleg, nouveau riche de la période post-soviétique, propriétaire d’une demeure luxueuse, sponsorise le projet d’opéra, tout en hébergeant Sofia. Oleg est patron d’une grande surface dont une partie du sous-sol est occupé par un casino clandestin, à vrai dire connu et toléré par le pouvoir. Les gens ordinaires fréquentent la Grande surface et les nouveaux riches perdent de l’argent au Casino.

La diva dirige elle-même les répétitions. Elle choisit les différents acteurs du futur opéra.

L’argent compte énormément dans l’intrigue, tout comme l’alcool. Andreï s’est mis en tête de devenir riche en triomphant de la chance à un jeu de cartes du temps de Pouchkine, le pharaon. Il veut s’identifier à Herman pour mieux le jouer. Le croupier de deux gestes assurés étale par deux arcs parfaits deux jeux de cartes. Le joueur choisit une des trois cartes de référence. Si elle est retournée du paquet du croupier, il perd, autrement, il gagne. Par malheur, si le croupier retourne la dame de Pique avant la carte choisie et quel que soit le paquet de cartes, le joueur a perdu. Deux fois, Andreï gagne. Il s’endette, contre sa vie, à une bande de malfrats. La troisième fois, il perd. Le film finira par une épreuve de roulette russe. Dans l’intervalle, Andreï aura perdu sa voix, après un suicide raté, la lame qui devait l‘égorger, tranchant ses cordes vocales.

Comprendre « l’âme russe » et la Russie d’aujourd’hui

Ce film a l’intérêt d’illustrer « l’âme russe » dans ses excès et de donner une idée de la Russie, après l’abandon du système soviétique et l’ouverture brutale à l’économie de marché. Sofia a sans doute pu et dû s’exiler aux USA pour faire carrière. Elle peut revenir au pays, le temps d’un opéra. Ogel illustre la nouvelle élite, spectaculairement enrichie. Andreï est une figure de l’arrivisme, à la façon du héros balzacien des Illusions perdues.

Le creusement des inégalités a été tel, après l’ouverture au marché libéral, que la nostalgie de l’ordre précédent plus égalitaire se fait sentir, tout comme la nostalgie de la Russie comme grande puissance, après sa colonisation par l’argent et les firmes étrangères. Ceci et cela expliquent probablement Poutine. Le néolibéralisme tant économique que militaire a favorisé un réveil belliciste, anti-occidental, nourri par la guerre en Ukraine qui fait avant tout l’affaire des USA. L’Europe s’est révélée incapable d’être une force de paix. Une fois encore, elle s’est ralliée à la politique des USA, comme au temps de la guerre du golfe.

Pour l’essentiel, la Russie est en crise, économique, sociale et identitaire. Une insatisfaction profonde caractérise l’empire. Les gens ne croient politiquement plus en rien. La société russe est caractérisée par un individualisme forcené, bien illustré par le jeune Andreï.

Les enseignants, les médecins, les scientifiques ont le sentiment d’être laissés pour compte, ce qui n’est pas sans rappeler ce que nous vivons en France. La nomenklatura semble s’être reconstituée. La corruption a caractérisé les relations entre les administrations et les entreprises, y compris petites et moyennes. Le monde paysan souffre aussi. Il choisit le repli, la production d’auto-suffisance. L’entraide entre générations persiste : les anciens aidant les plus jeunes, sans réciprocité.

Pour résumer, la Russie ne sait pas où elle va, ce qui n’est pas bon pour la paix. L’Eglise orthodoxe a retrouvé une certaine influence mais quel est son message politique ?

L’observateur peut se demander de quoi sera fait l’avenir de la Russie. Ce que nous pouvons comprendre des relations internationales est plutôt en faveur du non-alignement et des coopérations équilibrées et respectueuses des autres partenaires, Russie comprise.