Réalisation et scénario Pedro Almodovar (d'après 3 nouvelles d'Alice Munro)
Date 2016 / Espagne
Durée
96mn
Acteurs principaux Emma Suares (Julieta actuelle),Adriana Ugarte (Julieta jeune femme),Daniel Grao (Xoan, ex-conjoint de Julieta),Inma Cuesta : Ava, amie sculptrice de Xoan et Julieta),Rossy de Palma (employée de maison de Xoan),Dario Grandinetti (Lorenzo, amant actuel de Julieta)
SA/HA  
Mots clés Culpabilité – Destinée − Séparation – Récit − Parentalité

 

 

 

 

Un film de « maître », tant par la continuité du regard sur la condition humaine d’Almodovar que par la qualité du scénario et des images ou l’ancrage dans le territoire et la culture espagnole. Les protagonistes ont leur vie inscrite dans des destinées dignes des tragédies grecques. Ils sont les jouets de leurs passions honorables, de non-dits logiques, d’événements inévitables, de maladies incurables ou d’accidents. Le scénario révèle, par pans successifs, la réalité des histoires à partir de l’éclairage partiel qu’en donnent les principaux personnages. Il est difficile de savoir et de comprendre pourquoi tout va si mal et comment les heureux rebondissements surviennent. Par l’amour, peut-être, tout simplement. Les images récoltées au bord de l’Océan, dans les routes tourmentées de la chaîne cantabrique, dans les rues de villes espagnoles sont superbes et touchantes, les rouges et les bleus, le blond et le noir des cheveux, les visages, les regards, les postures, les enfants qui tournent et feintent autour d’un ballon qu’ils font rebondir. Un film léché et flamboyant, à l’espagnole. L’art du mélodrame sans mélo. Almodovar a parlé d’austérité à propos de son œuvre. Il peut repasser le plat !

 La culpabilité

 La culpabilité est au cœur de l’histoire de Julieta : la sienne, écrasante, celle, tardivement exprimée de sa fille, Anzia, qui laisse espérer d’impossibles retrouvailles, comme heureuse fin. Les hommes font comme ils peuvent, avec leurs souffrances et leurs obligations. Xoan cohabite avec le malheur d’une épouse invisible, qui n’en finit pas de mourir, alitée. L’amie commune de Xoan et de Julieta, sculptrice de statuettes masculines esthétiquement obscènes, développe une sclérose en plaques qui la pousse à révéler ce qu’elle sait à Julieta. Le père de Julieta fait le deuil de son épouse atteinte d’Alzheimer, du vivant de cette dernière, laissant son métier d’enseignant pour celui de paysan. Il dotera Julieta, à 40 ans passés, d’un petit frère inconnu, alors qu’elle a perdu la trace de sa fille, sans avoir compris le pourquoi de la rupture. La bonne-à-tout-faire qui régente la maison de Xoan, dans la rigidité culturelle de ses opinions de pauvre, est la figure de la culpabilisation, celle par laquelle le malheur se prédit et survient.

Notre époque, plus et mieux que Julieta, esquive toute responsabilité et range la culpabilité dans les accessoires révolus de la vie psychique. L’histoire racontée montre que la culpabilité doit aussi bien à la morale qu’à l’innocence. Le malheur qui la nourrit est, dans la plupart des situations, le fruit du hasard ou d’attitudes naturelles, compréhensibles, telle que le départ de Julieta du compartiment quand un nouveau venu lui demande si elle veut parler avec lui. Dérangée dans sa lecture, déconcertée par cette irruption, elle préfère rejoindre le wagon-restaurant où elle rencontrera Xoan. Pouvait-elle savoir qu’il s’agissait d’un désespéré décidé à en finir, s’il essuyait le refus de trop ?

Il y a de la culpabilité potentielle en alcoologie, au vu des conséquences. Les souffrances accumulées doivent à l’évitement et au déni des responsabilités, à l’aveuglement, avec ou sans conduite addictive, à l’effacement de l’esprit critique. La disparition de celui-ci manifeste l’avènement du narcissisme, de la lutte des classements, chère à Bourdieu, le besoin inextinguible d’avoir et de paraître et de vivre l’excitation. La sensibilité à la culpabilité, comme le mouvement dépressif, est signe de conscience.

Les autres thématiques, celles de la parentalité, de l’homosexualité féminine, de la condition des femmes et des hommes, peuvent nourrir des échanges en alcoologie, à partir de ce film. Almodovar montre que le même être est à la fois un enfant, un jeune adulte, un parent… La « seconde chance » ou la « nouvelle chance » est également en phase avec bien des histoires actuelles. L’addictologie en constitue un facteur facilitant.

La maladie est une des figures du Destin. Elle ramène la prétention des hommes – qui se voudraient indéfiniment jeunes et attractifs − à la gestion de fins de vie qui font ombre aux jeunes générations.

La dynamique du récit selon Almodovar est un exemple pour le recueil des histoires narratives, propres à chacun, myopes que nous sommes. Notre vision du Monde est nécessairement partielle sinon partiale, dangereuse à partir du moment où nous en faisons une vérité générale. Cette leçon est à méditer pour la problématique alcoolique et addictive. Le soin, comme le reste des activités humaines, souffre des visions bornées.

Un dernier message peut être mis à l’actif de ce film, d’ordre relationnel : soyons indulgents, attentifs à l’autre, ne nous pressons pas de juger, de condamner, d’écarter.

 

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