Réalisation : Cédric Kahn

Scénario :  Cédric Kahn             

Date : 2017 / France

Durée : 107 mn

Acteurs principaux :

Anthony Bajon : Thomas

Louise Grinberg : Sybille

Anne Schygulla : Sœur Myriam

Damien Chapelle : Pierre, l’ami

Alex Bendemürh : Marco, l’encadrant

A/SA/HA

Mots clés : Addiction – sevrage – communauté – faux self – choix 

 

Cédric Kahn, le scénariste-réalisateur, décrit l’itinéraire thérapeutique d’un jeune toxicomane, Thomas. Le lieu de cure est insolite. Il s’agit d’une petite communauté créée par une religieuse, sœur Myriam, dont la finalité est de soigner les toxicomanes et les dépendants de l’alcool. Les moyens mis en œuvre reposent sur le sevrage simultané de toutes les addictions, tabac compris, sans aucun traitement adjuvant. Moyen privilégié : une discipline monastique, reposant sur des moments de prière collective et sur des travaux agricoles. Garçons et filles sont séparés dans un cadre montagnard isolé. L’histoire-guide est celle de Thomas. Il arrive en bus d’on ne sait d’où, le visage tuméfié et l’œil hagard. Après un accueil qui évoque le monde carcéral, il doit supporter un sevrage sans accompagnement médicamenteux, ce qui se traduit par des douleurs et des convulsions. La scène n’est pas sans évoquer le film Ray, lorsque le célèbre chanteur Ray Charles décide de mettre fin à l’héroïne, sans la moindre assistance. La suite de l’histoire est à découvrir…

Le changement de trajectoire

Nous retiendrions deux thématiques, celle du changement de trajectoire pour un addicté, et la place de la spiritualité dans son rétablissement.

Concernant le soin, contrairement à ce qui est décrit dans le film, il va de soi qu’aider une personne à se sevrer d’une drogue dure requiert des précautions d’ordre médical. Il est impensable de laisser souffrir inutilement quelqu’un. La médecine ignore la valeur rédemptrice de la douleur et encore moins l’intérêt d’engager le risque vital. L’absence d’infrastructure infirmière et psychologique est à relever dans cette communauté, éloignée de tout.

Á noter que certains centres de postcure ne sont pas davantage équipés pour assurer la sécurité des sevrages, pour les questions règlementaires rapportées au prix de journée (!), alors même que le risque de réalcoolisation ou de prise de substances illicites est une constante dans ce type de séjour. Même si leur rôle d’assistance n’est pas à négliger, les encadrants et des compagnons d’infortune ne suffisent pas à garantir la sécurité et les difficultés rencontrés dans les premiers temps d’un sevrage difficile.

Les réunions de témoignages publics, au sein de la communauté, ne sont pas sans évoquer les confessions collectives dans un mouvement comme les Alcooliques anonymes. Ce type de mise à nu, plus ou moins douloureux et humiliant et, en conséquence, plus ou moins authentique, est pour le moins discutable.

Sans doute, l’impact traumatique n’est-il pas à négliger dans la pédagogie du soin, sauf à l’induire comme soignant. Un sevrage difficile n’est pas de nature à aider un addicté. Celui-ci en a vécu souvent plusieurs. Les sevrages compliqués n’ont pas plus de prise que les passages aux Urgences ou les cures itératives.

La honte, dans quelques cas, peut avoir la valeur d’un étayage. Le souvenir d’une humiliation provoquée par l’alcoolisation est alors utilisée comme souvenir de dissuasion par un abstinent lors de sollicitations d’ordre festif, gastronomique ou privé.

Les séances collectives de témoignage ont certes un caractère sympathique dans le style : « J’étais aux enfers et, grâce à vous, je suis revenu sur Terre ». Il est évident que dans ce genre d’exercice la sincérité et le pouvoir de la mise en mot peuvent aider l’énonciateur. Cela étant, l’organisation de la parole permise par un groupe bénéficiant d’une thématique propre à la réflexion, avec la présence active d’un soignant, est de loin préférable. Le participant peut beaucoup plus aisément s’exprimer sans se sentir jugé par les autres. Thomas, le héros de l’histoire, se révèle incapable de participer à ce déballage collectif. Ce qui le fait le plus souffrir au moment de son témoignage lui est très personnel et n’a rien à voir avec les raisons de son mal-être profond. Il est tombé amoureux de Sybille, dès la première rencontre. Il se fiche de témoigner de ses progrès, alors qu’il subit sans bénéfice le carcan des prières. Il est sous le coup d’une déception. La jeune fille lui avait promis de venir à cette fête bien-pensante et elle ne s’est pas présentée. Sœur Myriam constate son incapacité à prendre la parole. Elle essaie de le pousser dans ses retranchements. Elle dénonce sans ambages son absence de sincérité : Thomas s’effondre en pleurant, comme un petit garçon en souffrance, mais sans rien dire des raisons de sa peine. C’est l’authenticité qui va le sauver celle de l’amour qu’il éprouve pour la jeune fille. Il devra d’abord en admettre la force pour écarter sa pseudo-volonté d’entrer au séminaire dans le projet de devenir prêtre. Les trois séquences du visage de profil du jeune homme dans le bus sont très parlantes. Á l’hébétude triste du début succède brièvement l’expression curieusement fermée de celui qui part accomplir sa vocation puis l’illumination joyeuse quand il comprend et admet que son choix profond est de retrouver Sybille, occupée quelque part en Espagne, dans un chantier.

C’est une très belle histoire au fond que celle d’une évolution commençant par la sortie contrainte des addictions, par un temps d’immersion prolongé dans un cadre de vie séparé du monde où le deuil de l’alcool se fait peu à peu, en contrepartie d’une forme de fraternité partagée mais aussi du faux-self imposé par l’usage contraignant de la prière. C’est une belle histoire car sa résolution repose sur la découverte de l’authenticité et de la force d’un amour naissant.

Le film pose implicitement la question du cadre propice à la prière, de la pratique de celle-ci, et de ses effets de transformation.

Le cadre retrouvé dans différents lieux de prière est la Nature, la simplicité et la répétition des actes du quotidien, les rituels épousant les jours et les nuits, une vie ascétique, comme on peut le découvrir dans des monastères religieux ouverts aux profanes.

La pratique de la prière est ici collective, alors que le retrait silencieux et régulier des bruits et de la fureur du monde peut être une pratique singulière. A noter que le chant des pensionnaires remplace, ici, une musique religieuse, la plus élaborée, à la portée de tous avec les CD ou un poste radio.

Ce que n’a probablement pas voulu montrer le réalisateur est le vide sidéral de cette ambiance faussement amicale et faussement spirituelle. Les remerciements des jeunes et moins jeunes compagnons de Thomas, au moment de la séparation sont aussi niais que convenus. Ils sont aussi factices que la vocation du héros. Les pensionnaires témoignent de leur détresse persistante, de leur crainte d’affronter la vraie vie. L’exemple le plus probant est donné par Pierre, l’ami de chambre de Thomas, un père de famille et un époux qui reçoit, de temps à autre, la visite de sa famille. Nous pourrions dire qu’ils ont changé d’anesthésiant : la mise entre parenthèses des relations sociales continue, la neutralisation de tout esprit critique est totale, seule une autocritique superficielle et moralisante est encouragée, l’absence de véritable amour fondé sur la connaissance de l’autre est manifeste.

L’auteur sait cependant de quoi il parle. Sœur Myriam a eu un père alcoolique. Marco, l’encadrant, est un alcoolique sobre. Il manque dans ce lieu la flamme de l’esprit, celle que Thomas va trouver dans l’amour de Sybille.