Réalisation et scénario : Claire Simon

Date : 2018

Durée : 140mn

Producteurs : Sophie Dulac, Michel Zana, Aurélien Py

Acteurs : Des élèves du lycée Romain-Rolland d’Ivry-sur-Seine

 SA

 Mots-clés : Adolescence – confidences –  famille − résignation −  Solitudes

 

 

Ce film documentaire a été tourné par Claire Simon avec une dizaine d’élèves de seize à dix-huit ans, du lycée Romain Roland d’Ivry-sur-Seine, dans le Val de Marne. Il s’agit presque exclusivement de dialogues entre ces jeunes, à deux, trois ou quatre. Il est beaucoup question des relations avec leurs parents et de la façon dont ils voient leur avenir.

La première séquence montre une élève d’origine immigrée. Elle s’est rendue à l’infirmerie parce qu’elle avait mal au ventre pendant le cours de maths. Le questionnement de l’infirmière fait ressortir qu’elle vit seule avec une mère illettrée, ce qui ne lui laisse aucune chance de soutien scolaire à domicile.

Marion, assise sur un banc, manifeste son expérience amoureuse, sous l’angle de la rupture. Pour elle, il n’est pas possible de contrôler ses émotions lorsqu’on aime.

Hugo est taciturne, comme son père, ouvrier d’origine portugaise. Il pleure en évoquant l’absence de cet homme qui prend ses repas à part. Il est ambivalent à l’égard de son père dont il ne supporte pas l’absence affective, tout en reconnaissant en lui la même incapacité à mettre en mots des sentiments enfouis.

La mère de Mélodie a été déclaré psychotique. Pendant que la jeune fille regarde la télé, sa mère regarde des séries sur sa tablette. Cette mère est-elle « seulement » psychotique ? Ne boit-elle pas ? Cela, Mélodie ne le dira pas. Nous ne pouvons négliger le fait que ces jeunes parlent en présence d’une caméra.

Nous sommes donc dans un contexte de représentation, à l’exemple des réseaux sociaux. Ce biais explique probablement le caractère gentillet des échanges. Nulle colère, nulle révolte dans leurs propos. Les centres d’intérêt se rattachent à un univers familial qu’ils n’ont pas encore quitté. L’avenir imaginé est des plus incertains et des plus conventionnels.

À un moment, Marion, fille d’avocat qui a connu des revers de fortune, fait découvrir à son amie la rue parisienne où réside Djamel Debbouze. Elle lui demande si elle aime le quartier, si elle voudrait habiter le cœur de Paris. Son amie ne sait quoi lui répondre. La modestie de ses origines lui interdit ce type de projection.

Dans un wagon de RER, un grand jeune homme roux de la classe dialogue avec une brunette binoclarde à propos de créativité littéraire. Elle tient un journal qui n’en est pas un. C’est un vrai dialogue, qui se joue dans la réciprocité.

Une autre jeune fille assise sur un banc rêve de maternité plus que d’amour. Elle voudrait éduquer comme il convient ses enfants et, en même temps, les gâter. Elle a un beau regard et un joli sourire qui évoque ceux de Joan Fontaine dans Rebecca, d’Hitchcock.

La plupart de ces jeunes ont un visage préservé. Certains regards et positionnements laissent transparaître, le repli, le désenchantement et la souffrance muette, tels ceux de Mélodie.

Dans ce petit groupe ayant pris l’option des métiers du cinéma, une jeune fille entame une danse entrainante sur les marches du lycée. La résilience et le dérisoire sont fugitivement illustrés par une séquence de « Charlot boxeur », esquivant les coups de son adversaire et l’enlaçant à chaque occasion, pour éviter que son corps malingre ne prenne des coups. Judith, une étudiante d’origine nigérienne donne une sorte de mot de la fin : « Je sais ce que je veux devenir, mais je ne sais pas qui je vais être. »

 L’entre-deux de l’adolescence

 Le film donne une impression d’irréel. La noirceur du Monde est à peine esquissée. Pas la moindre trace d’alcool, de joints, d’addiction numérique, pas de violences verbales, physiques ou sexuelles sur d’autres mineurs en état de fragilité. La libido semble absente entre garçons et filles. Il n’y a pas la moindre trace de révolte, d’antagonisme, de considérations à caractère culturel, politique ou philosophique. L’entre-deux qu’il montre pourrait évoquer une brève période avant l’adolescence de 11 à 12 ans.

Je ne suis pas certain que le titre du film soit très pertinent. Le sentiment d’abandon, et donc de solitude, vécu par ces lycéens s’est déjà inscrit dans leurs vies depuis des années. La question qui se pose à eux est de sortir de leur enfance et pour quoi faire. Le sentiment de solitude est lié à la connaissance et à la prise de responsabilité. Il a partie liée avec la notion décriée d’autorité et de choix, apparemment absente des histoires. Les tuteurs de résilience font défaut. Nous sommes dans l’entre-deux des cours, de l’espace où l’on apprend, de celui que l’on va retrouver.

Ces jeunes sont décalés et résignés, malgré leurs souffrances personnelles, très conformes.

Que deviendront-ils ?