Octave Mirbeau

Carnets

L’Herne

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Octave Mirbeau savait, dit François L’Yvonnet, le préfacier, que l’intervention dans le débat public se payait d’inconfort. Anarchosceptique, il prit, cependant, sans hésiter le parti de Dreyfuss. Tolstoï voyait en lui le plus grand écrivain français de son temps. De lui, nous connaissons surtout « Le journal d’une femme de chambre », au moins deux fois proposé à l’écran, par le réalisateur Louis Buñuel, en 1964, et, plus récemment, en 2015, par Benoit Jacquot. 

Son texte « La grève des électeurs », de 1888, n’a pas vieilli. Jugez-en plutôt : « Une chose m’étonne prodigieusement, j’oserai dire qu’elle me stupéfie, c’est qu’il puisse exister dans notre chère France, un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu’un. » « Je parle ici de l’électeur averti, convaincu, de l’électeur théoricien, de celui qui s’imagine, le pauvre diable, faire acte de citoyen libre », imposer – ô folie admirable et déconcertante – des programmes politiques et des revendications sociales. » 

« A quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d’une volonté, à ce qu’on prétend, et qui s’en va, fier de son droit, assuré qu’il accomplit un devoir, déposer dans une boite électorale quelconque un quelconque bulletin. » « Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies. » « Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. » « Souviens-toi que l’homme qui sollicite les suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu’en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu’il ne te donnera pas et qu’il n’est pas, d’ailleurs, en son pouvoir de te donner. L’homme que tu élèves ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi. » « Et s’il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et de t’aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse, trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n’accordes jamais qu’à l’audace cynique, à l’insulte et au mensonge. Je te l’ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fait la grève. »

Le texte suivant, Préludes (1889) est de la même veine.

« Et je songe, avec une joie sadique que, dans quelques jours, sera ouverte la période électorale. On peut même affirmer qu’elle l’est déjà, qu’elle l’a toujours été. » « Oui ! le merveilleux peuple que nous sommes ! Et combien nous avons raison de résister aux dégoûtants principes du pessimisme ! » « Il la célèbre, cette Révolution qui n’a même pas été une révolution, un affranchissement, mais un déplacement des privilèges, une saute de l’oppression sociale des mains des nobles aux mains bourgeoises et, partant, plus féroces des banquiers ».

La guerre et l’homme (1886) n’est pas mal non plus. 

« Un homme en tue un autre pour lui prendre sa bourse. On le condamne à mort et il meurt ignominieusement, maudit par la foule, la tête coupée sur la hideuse plate-forme. Un peuple en massacre un autre pour lui voler ses champs, ses maisons, ses richesses, ses coutumes ; on l’acclame, les villes se pavoisent pour le recevoir, les poètes le chantent en vers énivrés. L’image de celui qui a tué 30000 hommes se dresse, vénérée, au milieu des places publiques. » 

Cher Octave Mirbeau