Chloé Morin

Fayard 2023

20€90, 399 pages

onauratoutessaye

Je ne sais comment j’ai été amené à lire ce livre et qui m’a suggéré d’en constituer une fiche. C’est un ouvrage aussi vite publié qu’il a été écrit puisqu’il fait état d’événements médiatisés très récents (Un mois environ avant sa mise en circulation !)

Le livre donne la parole à une trentaine de femmes et hommes influents ou connus, choisis par Chloé Morin, et qui ont voulu se prêter à ses questions. Chloé Morin est « politologue, spécialiste de l’analyse de l’opinion et de la communication publique. » Elle a été conseillère de Premier Ministre de 2012 à 2016, notamment au temps de Manuel Valls. Elle est experte associée à la Fondation Jean Jaurès et directrice générale de Societing.

Le livre est habité par la prochaine élection présidentielle. Il donne la possibilité, « à la fin », l’occasion de s’exprimer, à Marine le Pen alors qu’elle n’a pas été « essayée ( à préciser peut-être. Je n’ai pas bien compris.)». Seule « alternative » perceptible, parmi les invités, Edouard Philippe, Premier Ministre inaugural du règne Macron.

J’ai effectué mon second survol en commençant par la fin.

Marine Le Pen reprend sans surprise la critique des gens d’en bas à l’encontre des gens d’en haut : tous pareils et interchangeables. Les communistes d’avant Mitterrand avaient rendu célèbre la plaisante formule de Jacques Duclos : « blanc bonnet et bonnet blanc ». Les médias font mine de croire, dit-elle, que la gauche et la droite sont les « deux côtés du balancier » (p373), alors qu’ils sont du même côté. Et c’est elle, bien évidemment, avec ses militants sagement habillés, qui constitue « l’autre côté ». Pour elle, le clivage principal intervient entre les partisans et les adversaires de la mondialisation. « Gauche, droite, affirme-t-elle : tous ont concouru au déclin de la France depuis quatre décennies, indistinctement, en matière économique, industrielle, européenne, sanitaire, scolaire… »

Elle cite comme exemple de consensus médiatisé la voiture électrique, alors que sa généralisation va accroître nos besoins d’électricité accrus par l’extension addictive des divers usages du numérique, « des plus utiles aux plus futiles, débiles et toxiques » (C’est nous qui l’ajoutons).

Que propose-t-elle ? Des mesures, qu’elle ne précise pas, pour limiter l’immigration. « De nombreux problèmes en découlent » répète-t-elle : « équilibre des comptes spéciaux, emploi, communautarisme, sécurité ».

Dernière démagogie à la mode : le « référendum d’initiative populaire ». Pourrions-nous, par exemple, après une analyse documentée, avoir une politique alternative dans le champ des addictions ? Qui serait le « peuple » questionneur ? Comment le peuple autoproclamé rencontrerait-il la population. Qui organiserait les débats ? En dépit de la modération de son ton, « Ce que nous apprennent les addictions » montre que les « racines du mal » sont profondes, inhérentes au système économique en place. Le peuple a fait le choix de soumettre, d’anesthésier, d’acculturer, de disqualifier toute alternative cohérente. Il survit au désordre qu’il induit.

En quoi consiste son anti-mondialisme ? Mystère. Quelle politique internationale préconise-t-elle dans le cadre géopolitique actuel ? Mystère.

Comment Marine Le Pen compte-t-elle gouverner ? Mystère. Elle promet la proportionnelle (comme d’autres avant elle) pour les élections. Selon elle, cette disposition très favorable aux partis, inciteraient les députés à s’accorder sur des compromis. Au vu du spectacle que donne l’Assemblée nationale, ce pragmatisme inédit semble plus qu’improbable. D’autres, avant elle, dans le livre, ont mis en doute la compétence de personnes élues sur de seuls critères partisans, sans expérience de gestion. On peut penser que l’absence de majorité politique à l’Assemblée conduirait à multiplier le recours au trop célèbre article 49-3. Ce procédé qui a tant choqué les bons esprits est la seule façon qu’a un gouvernement minoritaire dans l’hémicycle de faire passer ses lois, après avoir laissé aux députés un temps de bavardage et d’agitation suffisant.

Le peuple est une notion très vague, même dans les propos d’un François Ruffin. Ce dernier estime « que l’on gouverne aujourd’hui contre le peuple, grâce à sa résignation » (p333). Il n’explique pas comment ce peuple, jadis si réactif, est devenu un agrégat « d’égo-grégaires ». Il ne parle pas de l’effondrement de l’esprit critique.

Valérie Pécresse a tout compris. Elle privilégie les partisans du changement qu’elle croit bon. Ainsi, les profs étaient attachés aux livres que les élèves ne consultaient plus. Elle a fourni gratuitement (aux frais du contribuable) un ordinateur à chaque professeur et à chaque élève et la moitié des lycées sont passés au numérique.

Pour Jean-Dominique Senard, président du groupe Renault, des études d’impact complexes sont dispensables si l’on peut prendre de bonnes décisions sur le long terme. En très peu d’années, nous sommes passés du « diesel avant tout à plus jamais de diesel. » (p327). Il donne l’exemple de la Chine qui s’est d’abord soucié des matériaux nécessaires avant de s’engager dans la nouvelle voie. Quelles seront les conséquences du choix du tout électrique dans 15 ou 20 ans ? Un peu plus loin, Emmanuel Faber, directeur général de Danone, se demande « si toutes les cultures peuvent tolérer ce degré de planification » (p343). François Gemenne, politologue, souligne qu’il existe des instruments financiers, bancaires et fiscaux, susceptibles de nous aider à anticiper l’avenir, notamment avec l’incorporation dans les projets concurrentiels de la prise en compte du réchauffement climatique (p339). Edouard Philippe croit le Marché et la Bourse plus intelligents et efficaces, selon lui, que les planifications. Le système économique peut-il progresser en se prescrivant la variable climatique dans tous les domaines où elle intervient ?

Rachida Dati, souvent citée, évoque avec nostalgie l’époque où elle était magistrate au Tribunal pour Mineurs de Bobigny. « Je ne trouvais pas de structure pour le sevrer… donc je l’ai incarcéré. Quand il est sorti, il est venu me voir, il avait bien meilleure mine ! » (p305). Sa grand-mère était professeur et principal de collège. Cette dame lui avait expliqué que cela marchait quand les règles étaient claires et appliquées ».

Philippe Martinez, le responsable de la CGT, avance cette idée que les décideurs ignorent la nature du travail. Il parle, bien évidemment, du travail concret, dans les conditions de la pratique.

D’autres que lui tel que Christophe Dejours ont mis l’accent sur la dégradation du vécu au travail.

Une réflexion vient sur la différence entre un sociologue et un politologue. Le sociologue peut (devrait) avoir une expérience de terrain. Un politologue s’en tient aux discours de ce qui est donné comme l’élite, politicienne et technocratique.

Nombre de bonnes questions sont évoquées entre personnes de bonne compagnie. Ainsi « la spirale de la dette », pointée par Pierre Moscovici. C’est tellement commode d’éviter de déplaire en laissant la dette s’accroître, en évitant de prendre des mesures à effet structurel.

De nombreuses têtes de chapitre guident le lecteur. Il lui suffit de consulter la table des matières.

Ce qui est certain, pour nous, artisans d’une alcoologie soucieuse des populations, des soignants et des deniers publics, c’est que nous avons rencontrés l’indifférence, l’incompétence, la suffisance, tout au long de notre pratique, principalement de la part de la technocratie de la Santé. Les responsables de l’enseignement de l’addictologie, en dépit de bons éléments disparates, restent dans leurs registres particuliers soumis aux normes nord-américaines. Ils n’ont aucune vision politique alternative, humaniste, du soin. L’alcoologie humaniste a été à la fois détruite et empêchée… La formation des futurs médecins, avec la création de nouveaux quotas folkloriques, ne permet pas d’espérer un renouveau quelconque. Quelles sont les marges de manœuvre de ce que j’appellerai les « non-déclinistes » ? Certainement pas « d’essayer » Marine le Pen ou quiconque autre politicien médiatique. Le non-vote est un vote.

Une hypothèse de travail est à privilégier dans un premier temps : la Région, plutôt que l’Hexagone dont les technocrates sont inaccessibles, ou a fortiori l’Europe. Personne ne sait ce qu’y font nos élus, les difficultés qu’ils rencontrent. Le Pouvoir Politique Régional doit chercher des appuis dans les différents secteurs de la Société civile capables de proposer des alternatives fondées sur l’intelligence des situations, sur la créativité au service de l’intérêt général. Il doit se doter d’un droit d’interpellation des instances situées au-dessus de lui, en faisant le pari de l’information et de l’éducation démocratique.