Parlons-en !

 Il n’y a pas de vie minuscule

Charles Gardou

Erès

14€50, 170 pages

lasocieteinclusive

 

Le titre est contre-intuitif. La société dans laquelle nous vivons est une machine à marginaliser, à normaliser, à catégoriser, à stigmatiser, à opposer. L’hypothèse de travail selon laquelle il y aurait une majorité de gens intégrés et une minorité d’exclus en souffrance ne rend plus compte de la réalité. La désorganisation, l’archipélisation et l’émiettement induits par la mondialisation est manifeste et affecte une grande majorité des citoyens.

L’auteur discute pour commencer le terme de « société inclusive » « aux multiples déclinaisons ».

L’auteur cite Jérémy Bentham, à propos de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen (1789) : un lieu commun abusivement mis en avant, « une absurdité montée sur des échasses ». Sans surprise, Gardou souligne l’accroissement des inégalités, la loi d’airain du marché, ou encore un consensus de façade ». Des îlots de commodité déploient des océans d’empêchement et d’exclusion. Il ajoute : « Vivre sans exister est la plus cruelle des exclusions ». Il conclut son prologue en rapportant que « Tout point de vue est l’avis d’un point », ce qui de notre point de vue est une invitation à multiplier les angles de vues.

L’évitement de ce qui dérange est une règle universellement appliquée. Il permet les défauts de soins, les abandons, les maltraitances et bien entendu le maintien des discriminations. Plus loin, il cite Gaston Bachelard : « Le réel n’est jamais ce que l’on pourrait croire mais ce que l’on aurait dû penser ». Pour Michel Foucault, « les sociétés se caractérisent selon la manière qu’elles ont de se débarrasser, non pas de leurs morts, mais de leurs vivants ». Cette référence date un peu. Notre modernité tardive généralise aussi la suppression des cimetières comme lieux de mémoire. L’évangéliste Matthieu nous annonce, en prenant le rôle du « méchant » : « car on donnera à celui qui sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas même ce qu’il a, lui sera retiré. » Cette sentence cruelle doit nous faire réfléchir. La pauvreté, la marginalisation sociale, le handicap identifié ne suffisent pas, il faut le mépris en plus. (C’est ce que nous disons à propos des personnes alcoolodépendantes, quand la marginalisation devient effective. Plus loin, l’auteur distingue le terme d’intégration. Pour lui le processus d’intégration consiste à rapprocher des éléments différents, en favorisant leur compatibilité et le fonctionnement de l’ensemble. C’est ce que nous nous employons à faire dans le respect des différences, même s’il existe des incompatibilités de fait.

Un nouveau chapitre énonce : « L’exclusivité de la norme : c’est personne, la diversité : c’est tout le monde ». Le titre d’une histoire imaginée par Boris Vian « on tuera tous les affreux » est explicité. Le héros de l’histoire, Mark Schutz, affirme : « et puis, on peut supprimer les gens qui présentent des défauts d’aspects. Ils sont conditionnés de telle façon que l’idée même de la laideur leur fait horreur. Le jour où ils s’aperçoivent de leur imperfection, ils se suppriment. Les gens sont tous très laids. Chez moi, un slogan : on tuera tous les affreux. » C’est ce que précisément les partisans de l’eugénisme ont préconisé. Madison Grant, auteur Nord-Américain du Déclin de la grande race (1926 – édité en France par Payot) inspira Hitler : 275000 enfants ou adultes affectés d’une déficience physique ou mentale furent assassinés dans un bref espace de temps pendant que se développait un programme de stérilisation sélective. Pour cet auteur, l’effacement de l’éthique et du souci d’universel n’est pas un symptôme du déclin.

Le déni de reconnaissance, l’indifférence et le mépris sont un chevalet de torture. Il en est de même de la dépréciation. Plus loin il fait allusion à la non-violence active (ahimsâ) de Ghandi. Martin Luther King se plaisait à dire : « Il nous faut apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons périr ensemble comme des imbéciles ». Nelson Mandela ajoutait : « L’opprimé et l’oppresseur sont tout deux dépossédés de leur humanité. »  Les amateurs de guerres fratricides devraient réfléchir à cette observation. Dans le film de John Ford « Vers son destin », Henry GFonda joue le rôle du jeune Lincoln. A un moment clé de l’histoire, il s’oppose à un groupe d’enfiévrés décidés à lyncher sans tarder deux accusés de meurtre, mis à l’abri dans la prison dans l’attente du jugement. Il déclare (approximativement) à la foule de citoyens individuellement raisonnables et pondérés, prêts à défoncer la porte : « On en pend un, puis un autre et on y prend goût et on se pend à tour de rôle… »

Le principe d’équité consiste à agir de façon modulée selon les besoins singuliers pour pallier les inégalités de nature et de situation. Pour Amartya Sem, avec sa théorie des capabilités, il est impératif de s’intéresser aux existences effectives ainsi qu’aux possibilités réelles de répondre aux besoins de chacun.

L’épilogue de cet opuscule définit la société inclusive comme « une société sans privilège sans exclusivité ni exclusion », ce qui peut sembler correspondre à une définition inversée du monde dans lequel nous vivons.

Gustave Flaubert écrivait à George Sand, en 1871 : « Il faut éclairer les classes éclairées commencer par la tête, c’est ce qui est le plus malade. Le reste suivra ».

L’expérience prouve qu’il est extrêmement difficile d’éclairer la tête et que le reste du corps social à bien du mal à suivre. À la fin de la lecture de ce petit livre, nous pouvons conclure que nous avons progressé en citations pénétrantes mais que nous n’avons pas avancé dans la compréhension d’une politique humaniste et réaliste du handicap, par définition multiple, protéiforme et relatif. Je ne crois pas que l’auteur a imaginé un seul instant qu’un handicap est multifactoriel et que les addictions font partie des handicaps socialement encouragés.