Marc Joly

La pensée perverse

au pouvoir

Anamosa

20€, 283 pages

 

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Marc Joly est sociologue, chercheur au CNRS. Il a réfléchi sur la construction européenne, sur la crise de la philosophie, sur l’œuvre de Pierre Bourdieu et, plus récemment, sur les interactions entre les évolutions sociétales et la perversion narcissique.

Ce que l’on relève, de prime abord, effet promotionnel et/ou message subliminal, est que le président Macron figure en 3 photographies d’identité sur la première de couverture et en médaillon sur la quatrième.

Le point de départ événementiel du livre est « la dissolution de l’Assemblée Nationale, le 9 juin 2024 », au soir d’élections européennes qui n’avaient pas été favorables au Parti censé le représenter.

Il est précisé, au revers de la couverture, l’intention du livre : « Mettre des mots et du savoir sur le décervelage que provoque la personnalité du président usant sans la moindre considération éthique de toutes les prérogatives que lui offre la Constitution de 1958 ».

Marc Joly s’appuie sur l’expérience clinique de celui a fait connaître en France le concept de « pervers narcissique », le psychanalyste Paul-Claude Racamier (« Le génie des origines. Psychanalyse et psychose, Payot, 1992).

Relevons que cette catégorie clinique a fait fortune depuis plus de 20 ans. Le manuel de classification des pathologies psychiatriques n’est pas très explicite à ce propos et les curieux peuvent aisément se documenter. Longtemps et, à juste titre, dédiée aux hommes, l’observation clinique réunit désormais toutes les caractérisations sexuelles.

Si l’on veut faire court, ce qui semble au premier plan pour ces personnalités est – du côté de la perversion – l’aptitude à la manipulation, les stratégies de séduction et d’emprise, une remarquable absence d’empathie, une incapacité à respecter l’autre, la volonté de le chosifier, un acharnement fréquent à le détruire, après « usage ». Le versant narcissique correspond à une surestimation de soi, à une fixation sur son image et l’effet qu’elle produit.

Le narcissique est obsédé par son image, le pervers s’en sert, au détriment de l’autre, pour parvenir à ses fins. Il est possible d’être pervers sans être narcissique et narcissique sans être pervers. Les trois cas de figure correspondent à des perturbations de la « relation à l’objet » (objet, au sens analytique : « ce qui n’est pas soi »). Nous pourrions parler, à propos des pervers narcissiques, de leur banalité, mais force est de reconnaître que notre Président se distingue, par une instabilité d’attitudes et de discours qui témoignent d’une pathologie non maîtrisée, et cependant affichée sans retenue.

Le corps du livre

(p48) : « La toute-puissance est essentiellement fondée sur le déni, un double déni : déni d’impuissance et déni de limites. (PC Racamier : Le génie des origines, p304)

(p49) : De Patrice Weil (longtemps au parti socialiste) : « la colère de masses de citoyen s’incarne dans des mouvements contre le « système », elle s’attache à des leaders qui ont parfois des personnalités narcissiques et autoritaires. Un pouvoir se met en place qui a empaumé les Français désireux d’abord de trouver plus de liberté d’entreprendre, puis d’échapper au danger du Front national. Ils se retrouvent avec, à la tête du pays, un homme qui représente le cœur de la haute administration. Cette haute administration nous a dirigés depuis longtemps, mais toujours par l'intermédiaire politique. Désormais, elle a conquis le pouvoir direct. Comme les animaux de La ferme des animaux, certains de ces fonctionnaires formés et recrutés pour servir ont décidé de renverser leurs patrons politiques".

Le résultat de ces évolutions est une coupure irrémédiable entre ceux d’en haut et ceux d’en bas, entre la Politique et le Réel.

Ceux d’en bas n’ont qu’une liberté : celle de servir les intérêts définis par ceux d’en haut, intérêts de classe, étrangers aux enjeux de société et à l’épanouissement des citoyens.

(p85) : Il n’y a guère que Macron qui soit capable de parler, en même temps, à propos de l’Algérie, de « crime contre l’humanité » et « d’une histoire d’amour qui a sa part de tragique ». Question jamais abordée, celle de la population d’origine européenne et, principalement française, qui peuplait conjointement le pays depuis 5 générations et contribuait à en faire un pays prospère : s’agissait-il d’une horde de monstres ? N’existe-t-il pas un élément de tragique pour cette population qui a dû « prendre la valise pour éviter le cercueil », laissant tout derrière soi, parce que la Mondialisation ne tolérait plus les emprises coloniales, en l’état, et les marchés protégés qui en résultaient ? N’y-a-t-il pas eu du tragique dans ce qui a suivi pour le peuple algérien ? L’Indépendance nécessaire n’a-t-elle pas véhiculée, par la suite, sa part de tragique ? Les gouvernements, de part et d’autre de la Mare Nostrum, peuvent-ils être fiers de ce qui a résulté pour l’Algérie d’un point de vue économique, démographique, culturel et démocratique ?

(p89) : Une question d’autant plus troublante qu’elle émane d’un journaliste pris dans un histoire d’abus sexuel sur enfant, Jean-François Revel : « Tout est suspendu à une source unique : la pensée du chef de l’État. Dès lors, que se passe-t-il si le chef de l’État n’a pas de pensée ? Où s’il y en a deux qui s’excluent mutuellement ? » (L’express,1972)

(p91) : Au plus banal, la pensée perverse, c’est l’esprit faux, le verbiage… elle excelle dans la transmission de la non-pensée ».

(p95) : « La pauvreté de la pensée perverse, son absence de créativité, son orientation purement instrumentale et manipulatoire, sa finalité disqualifiante, destructrice des liens, ses conséquences sidérantes et « décervelantes », la bassesse des méthodes qu’elle emploie, jusqu’à son imbécillité : tout cela éclaire un phénomène qui ne cesse de se reproduire »

(p131) : Le mépris et l’ignorance de l’élite transparaissent dans la célèbre sentence adressée à un jeune homme en quête d’emploi « traverser la rue pour trouver du travail ».

Nous n’avons pas à nous attarder sur l’histoire du couple présidentiel, ou de l’influence d’une grand-mère dans la construction de sa personnalité. Freud lui-même aurait été décontenancé, tout comme Racamier de mesurer à quel point leurs analyses se vérifiaient chez le représentant de l’État français.

(p184) Au chapitre intitulé « La chimère de l’intelligence », cette merveilleuse citation de David Graeber : « plus un travail bénéficie clairement aux autres, moins il est rémunéré ».

(p186) « Il a été plébiscité par l’oligarchie que composent les sommets du champ économique, du champ de la fonction publique et du champ médiatique. Cette élection est exemplaire d’un rapport instrumental à la « culture », au capital culturel, dont la fonction, du côté dominant de la classe dominante, est une fonction légitimatrice sous ses différentes formes.

(p188) : « Le niveau intellectuel de cette caste, plus atteinte qu’elle ne le croit par le matérialisme destructeur d’un ordre économique financiarisé, frappe par sa médiocrité ».

Plus on avance dans ce livre, en parallèle avec ce que vivent au quotidien et depuis des années une majorité de citoyens, plus les constats sont convergents et accablants. Il semble impossible de bafouer plus visiblement, plus cyniquement, les principes élémentaires du vivre ensemble. L’alliance de classes contemporaine du gaullisme n’est plus qu’un souvenir. Notre pays est en coupe réglée. La démocratie formelle sert à détruire toute velléité de démocratie réelle. Le Pouvoir favorise et entretient toutes sortes de divisions à l’intérieur de la population qu’il maltraite et conditionne. Ne soyons pas dupes des mouvements sociaux radicalisés, venus pour la plupart d’Amérique du Nord. Ils servent à désorienter la population, à accroître un climat d’incompréhension et de division, qui éloignent de la mise en cause du Pouvoir.

C’est un homme de droite, Olivier Marleix qui interroge (p153) : « Mais avec le pouvoir macronien, la question de la confiance a pris une tournure nouvelle. Ce n’est plus le cynisme ordinaire, ou le dévouement feint que l’on met en cause dans ce pouvoir, mais carrément : pour qui travaille vraiment Emmanuel Macron ». Une certitude, il ne travaille ni pour la France, ni pour les Français, ni pour rien ni personne. Comme dirait un communiste de l’ancien temps, il travaille pour le Grand Capital. Nous pouvons le vivre comme un pervers narcissique, un globaliste apatride, acquis aux intérêts égoïstes de l’élite dont il est le commis, prêt à tous les mensonges, les manipulations et les mises en scène. La plus significative la plus nuisible et la plus dispendieuse a certainement été la « crise du Covid » qui a sonné le glas de la démocratie sur notre sol, tout en imposant comme règle un contrôle social permanent et un climat de méfiance généralisée. S’il se dessinait une réelle alternative politique, le Président ne resterait pas un mois de plus en place. Il doit sa place à la décomposition sociale et politique qu’il favorise.

Qu’ajouter de plus ? L’ensemble des institutions publiques ou privées semblent aujourd’hui contaminées par cette négation perverse des réalités et des besoins. Les citoyens subissent. Jusqu’à quand ? Et comment cela évoluera-t-il ?

Intérêt de ce descriptif pour l’alcoologie et notre actualité

Le plus bel exemple de pervers narcissique est sans doute l’alcool. Il est attractif et séduit avant d’affirmer son emprise jusqu’à détruire sa « victime ». Quand le sujet s’en est éloigné, il pratique un harcèlement par effet d’ambiance. Il est d’autant plus puissant que le sujet ne s’est pas occupé de ce qui le rendait désarmé face à cet imposteur.

Poussons l’analogie : (p247): « Le pervers narcissique est à l’origine de postures, de discours, d’agirs qui ont pour caractéristique de plonger autrui (ou donc souvent aussi le buveur) dans un inconfort et dans un état d’angoisse permanents. La sidération, l’anxiété, l’épuisement, le sentiment d’être l’objet d’un déni qui concerne toutes les propriétés de son être sont des faits sociaux ».

Il est écrit plus loin, (p263) et cela pourrait décrire la pensée bureaucratique : « La pensée perverse s’épanouit dans le tarissement des sources de vie et de créativité collective, dès lors qu’elle a pour elle la légalité ».

Le Président actuel est exemplaire d’un pouvoir sans éthique qui se contredit sans cesse pour désorienter. Il peut dire tout et son contraire. L’important est de rester dans un activisme de surface, d’en mettre « plein la vue », de faire illusion, en jouissant de privilèges. Son bon vouloir, digne des monarques capricieux, plus ou moins psychopathes, renvoie à une société qui lui ressemble, ayant banalisé elle-même perversion, narcissisme et soumission, au détriment du réel et de l’intérêt général.

Disons que ce président, avec ses particularités psychopathologiques, est dans la lignée de ses prédécesseurs, tous serviteurs du néolibéralisme financier. Prenons conscience que l’État français n’est plus au service du plus grand nombre. Son fonctionnement est devenu objectivement pervers. La bonne volonté ou les capacités de discernement de ses agents ne sont pas en cause. Elles sont neutralisées par la règlementation. Plus fondamentalement et indirectement, la sclérose de l’Etat est un signe du détachement des élites publiques de leurs missions. La verticalité descendante du Pouvoir est – en même temps ! – une garantie d’inefficacité et le moyen d’empêcher toute innovation susceptible de créer une résistance et une alternative à sa domination.