lundi 28 mai 2012

Le déni de la consommation pathologique a toujours été une difficulté pour les soignants et, avant eux, pour les proches. Il va faire l’objet du mémoire de psychologie de Wiam Bouaziz (WB).  Le groupe et l’AREA vont s’efforcer d’aider Wiam dans son travail.

Le déni consiste à nier l’évidence. Avant de lui donner le statut d’une défense psychotique, d’une complète cécité quant à sa réalité de personne alcoolique, voyons rapidement de quoi le déni est fait.

Le déni est une défense opposée à la honte de boire anormalement ou à la volonté exprimée par le tiers d’empêcher la consommation de dépendance. Il correspond souvent à la conviction que se passer de boire est impossible. Il est renforcé par les accusations, les soupçons, les mises en demeure. Il comporte aussi une part d’inconscience quant à la réalité de sa relation à l’alcool. Le déni consiste à se comparer avec ceux qui boivent davantage, à banaliser ses abus et à s’aveugler sur leurs conséquences. Le sujet peut cependant être ébranlé par les effets répétés de sa consommation d’abus et de dépendance. Les effets portent sur les capacités psychiques, sur la vie familiale, professionnelle et sociale. Le « J’arrête quand je veux » est exemplaire.

Faute d’une définition rigoureuse (la recherche systématique d’un effet psychotrope, assorti à la perte de contrôle), la définition de l’alcoolisme se prête au déni qui s’étend parfois à certains proches.

Le déni s’appuie sur un certain nombre d’illusions : « s’en sortir seul », « une affaire de volonté » et sur une préoccupation d’évitements (où interviennent la honte, la culpabilité, le souci de se protéger). Boire a été une solution à des problèmes et négliger les problèmes, c’est continuer le déni.

Wiam propose de voir l’évolution du déni à l’arrivée le samedi et à la sortie, le vendredi soir. Cela peut se faire par un même questionnaire rempli deux fois. Cela étant, l’évolution d’une pensée ne signifie pas qu’il y ait intégration de la prise de conscience : « Cette fois, j’ai compris ». La réponse bénéficie d’un effet d’ambiance.

Ce n’est que si les actes suivent l’évolution du discours dans la durée, dans les conditions de vie normales, qu’on peut estimer que le piège du déni est levé.

En pratique clinique, je ne pose jamais d’emblée les questions sur les types d’alcool consommés et encore moins sur les quantités ingérées. J’interroge plutôt sur les façons de boire et sur les effets préjudiciables (actuels) et bénéfiques (actuels et passés).

Je parle plutôt de problème d’alcool que de dépendance alcoolique.

Je ne cherche pas à obtenir d’engagement ou même de confirmation de la nécessité de s’investir pour réussir.

Il est des acceptations du soin qui participent aussi au déni (comme il se dit parfois les promesses n’engagent que ceux qui veulent y croire) :

−    Je viendrai en réunion.

Les promesses n’ont donc aucun intérêt. Elles ne font que mettre la pression sur le sujet. Je pense que si j’avais été alcoolique, j’aurais tenu un discours pessimiste, teinté d’humour sur mon aptitude à ne plus boire. Qui a dit « Fontaine, je ne boirai plus de ton eau » ?

Certaines illusions ont la vie dure :

−     Je vais m’arrêter un temps

−     Je pense parvenir à  boire « comme tout le monde »

Il existe des résistances à la relation de soin qui sont des formes de déni :

−   « Aidez-moi, mais je ne veux pas :

-     de médicament (ou je ne veux qu’un médicament),

-     d’hospitalisations (d’internement),

-     parler de moi en groupe,

-     raconter une fois encore mon histoire, alors que je suis un puits de sciences alcoologiques pour avoir lu Untel, Machin et chose, et été soigné par X, Y, Z,

-     de livre etc.

Il existe des dénis résiduels, à distance de l’arrêt de l’alcool ; les vrais problèmes peuvent servir à masquer les besoins de psychothérapie et les besoins de psychothérapie être revendiqués pour mettre les vrais problèmes entre parenthèses.  Le déni rejoint alors les troubles cognitifs qui préexistaient le plus souvent à l’alcool. Il n’est pas facile de bien comprendre sa propre réalité.

En clair, je ne vais pas chercher le sujet sur le terrain du déni. Je serais tenté de dire que moins on le dénonce, mieux il se dissipe.

Quand le déni est présent, je le relève sans me formaliser et je tente de le contourner par un parler clair, sans jugement, en racontant des histoires de patients illustrant le déni, en respectant la liberté du sujet. On peut parler du déni face au sujet sans incriminer celui que l’on constate.

Quelles sont donc les bonnes façons d’interroger à propos du déni ? C’est ce que la séance essaiera de définir.

Voyons à présent de plus près les hypothèses du mémoire de WB.

Elle souhaite cibler son travail par quatre questions explorant la relation entre le déni et :

−     la conception qu’a le sujet sur l’alcoolisme,

−     le rôle possible du Baclofène,

−     l’espoir d’une consommation contrôlée,

−     l’influence du regard des proches sur la consommation,

Il se trouve que j’avais l’intention de proposer une étude de cohorte sur l’impact de la discussion sur le Baclofène au cours de la première rencontre en alcoologie. En effet, depuis le 20 mai, je propose de signer un papier de consentement éclairé à chaque nouveau patient qui quitte la consultation avec une ordonnance de Baclofène.

D’autre part, un des rôles du stage (de l’hospitalisation brève) est de faire évoluer les convictions du patient sur les quatre points énoncés.

Je précise que WB devra prendre en compte d’un biais : entre la première rencontre et l’entrée en hospitalisation, il y a certes très souvent persistance d’une alcoolisation (facteur-clé dans l’entretien du déni) mais il y a aussi le désir de changement du sujet et l’impact des lectures proposées dès la rencontre conduisant à cette hospitalisation.

Voici dans l’ordre le projet de mémoire de Wiam et le texte que j’ai adressé à la revue de la SFA à propos du Baclofène dans la catégorie « Libres propos ».

Projet de mémoire de WB en l’état

Evolution des cognitions et du déni chez le sujet alcoolique en sevrage

Hypothèse générale :

Les croyances et le déni chez le malade alcoolique en sevrage peuvent être influencés par différents facteurs mais aussi par l’effet propre du séjour.

−     la définition de l’alcoolisme comme une maladie (l’alcoolisme est une maladie dont je pourrai guérir) ;

−     la prescription médicale (le bacloféne me fera arrêter une consommation excessive d’alcool, le bacloféne est le médicament qui guérit de l’alcoolisme) ;

−     le boire contrôlé (je pourrai réapprendre à boire, «  ils disent que je pourrai reboire normalement »)

−     le point de vue de l’entourage : une affaire de volonté.

Hypothèses de travail :

Hypothèse 1 : le fait de définir l’alcoolisme comme une maladie renforce le déni du sujet alcoolique quant au travail de réflexion à accomplir

Hypothèse 2 : la prescription du Baclofène amène le malade alcoolique à penser qu’il va se sortir de son problème d’alcool par l’effet d’une prescrption

Hypothèse 3 : l’idée de pouvoir reprendre une « consommation contrôlée », augmente le niveau de déni chez le sujet alcoolique sur sa problématique

Hypothèse 4 : le déni de l’entourage participe au déni du sujet alcoolique.

Hypothèse 5 : le groupe de parole et le contenu de l’hospitalisation brève ont pour finalité de diminuer le niveau de déni chez la personne alcoolique.

Stratégie du travail :

Entretien semi-directif simple sur deux temps, au début et à la fin d’hospitalisation concernant le thème du déni.

Je présente des exemples d’interventions de ma part:

Thème : le   Déni

Intervention

L’alcoolisme est   une maladie

Que pensez-vous de   votre problème d’alcool ?

Le Baclofène

Que pensez-vous du   Baclofène ?

Le boire contrôlé

Que pensez-vous de   pouvoir reboire modérément (retrouver une consommation normale)?

Le déni de   l’entourage

Que pensez-vous du   regard de votre entourage sur votre consommation ?

L’hospitalisation   brève, les visiteurs, le groupe de parole (uniquement dans le deuxième   entretien)

Que pensez-vous du   stage, des visiteurs, du groupe de parole ?  Que vous ont-ils   apporté ?