12-02-2024

 

Voici plusieurs mois, à présent, que le Livre bleu est à disposition de tous. Dans l’ensemble, j’ai eu très peu de retours concernant la construction de ce livre, les grilles de lecture et les concepts qu’il propose, l’intérêt qu’ils y ont trouvé, de la part des adhérents et des aidants de l’AREA. Je ne sollicite aucun compliment. Je suis, au contraire, attentif aux critiques. Je m’inquiète cependant de l’absence de références à son contenu au cours des consultations et des réunions. Quand je questionne un patient ou un proche qui en a fait l’acquisition, c’est pour l’entendre dire qu’il ne l’a pas encore lu ou qu’il l’a commencé. Il n’a pas encore localisé le passage où je fais référence à son image… Je ne crois pas que l’enjeu politique – en termes de santé publique – en a été compris, ne serait-ce pour la survie de l’activité.

Il y a actuellement un malentendu porté par ce livre. Ce n’est pas un ouvrage de plus traduisant une addiction à l’écriture de l’auteur. Une patiente a pu dire, intuitivement et justement, qu’il n’est « pas du tout pareil aux autres ». Des lecteurs ont avancé qu’ils avaient été déconcertés par le nombre de références livresques, ce qui manifeste qu’ils n’ont pas compris la raison de ces citations d’auteurs et d’acteurs émanant de périodes et de pays différents. Les auteurs « convoqués » ont l’avantage d’être des références qui confortent l’analyse générale contenue dans la première et la troisième partie. Ils ignorent le cadre fermé des problématiques addictives ou des affrontements idéologiques franco-français actuels.

Ce n’est pas par hasard si les grilles de lecture du réel recoupent les grilles de lecture des problématiques addictives. Celles-ci ne se développent pas indépendamment de l’évolution des sociétés. Il en est de même des concepts. Ceux qui sont présentés ont pour objectif de servir l’esprit critique, largement « naufragé » à ce jour. Nous ne pouvons pas nous permettre de négliger une seule des grilles de lecture opérantes ou d’ignorer les diverses conceptions du monde que nous côtoyons ou qui nous habitent.

Le groupe n’a pas vocation à être un puit de sciences. Il peut limiter son objectif à la maitrise de ces grilles en les rapportant aussi bien aux réalités sociales qu’aux addictions. La norme du soin exclut ces grilles comme la société ignore les concepts opérants. La « simplification » des approches pour l’accompagnement a le même effet que la réduction de la pensée sous l’effet d’une novlangue qui supprime les mots-concepts, les mots-nuances par centaines, tout en proposant des sigles et des notions qui brouillent discernement et bon sens. Nous avons suggéré d’associer l’esprit de géométrie et de finesse de Blaise Pascal.

Si l’on rapproche les addictions de l’évolutions de nos sociétés, nous pourrions associer l’alcool (le vin) et le tabac ou les troubles du comportement alimentaire de la Modernité qui a commencé à la Renaissance, et rapprocher les toxicomanies de la période post-moderne et de l’hégémonie américaine sur l’Europe. Les nouvelles addictions issues du numérique reflètent la mondialisation. La spécificité de l’AREA est de privilégier l’ancrage identitaire sans s’y enfermer, en opposition avec la culture portée par les toxicomanies et, à présent, par le Tout numérique qui caractérise la Modernité tardive. Notre choix alcoologique préférentiel n’est pas l’expression d’un chauvinisme nostalgique. Il se rapporte au fait que la toxicomanie reflète une idéologie où l’éthique est absente, où la transgression, y compris perverse, devient la norme opposable, à l’insu même de ses acteurs. Le consumérisme, à la recherche de satisfactions hédoniques immédiates et intenses, diversifiées mais répétitives, devient la référence suprême, y compris dans le domaine de la vie relationnelle.

Les grilles de lecture et les concepts que nous proposons ou que nous présentons sont donnés à titre indicatif. Leur caractère opérant a cependant été vérifié par l’expérience et l’usage. Il en existe de nombreux dans le champ alcoologique lui-même. Ils permettent aussi bien les « pas de côté » que des évolutions favorables. Le discours médiatique comme la doxa addictologique les ignorent. Comme nous le verrons dans une prochaine séance, ils garantissent notre cohésion et la cohérence de nos initiatives.

Quels sont, dans le livre bleu, les grilles de lecture et les concepts qui vous ont le plus « parlé » pour la problématique alcoolique et pour la problématique sociale ?