28-04-2025
Alors que j’évoquais les difficultés rencontrées avec la télétransmission et, au-delà, avec les différents protagonistes impliqués, mon fils me lança, dans un mélange de compassion et d’agacement : « Prends donc ta retraite ! ». Je n’évoquais pas cette question pour me plaindre. Je ne cherchais pas à fournir une description – toujours fastidieuse – ou une explication – trop complexe, dans le cadre d’un propos décousu. J’indiquais une variable qui pesait sur mon présent ; comme un caillou pointu dans une chaussure. De plus en plus souvent, des relations amicales m’interrogent à ce propos : « C’est pour quand ? ». Certains patients m’interrogent sur mon âge, que je ne cache pourtant pas, qui à s’étonner, ensuite, de mon état de conversation, ce que je prends pour un encouragement.
Nous avons, certes, au niveau du pays, une polémique récurrente sur l’âge de la retraite, alors que de nombreux praticiens s’obstinent. Après le centenaire, recordman du record de l’heure sur un vélo de piste, nous avons relevé qu’un praticien consultait encore à 100 ans. Le débat reste donc licite.
J’ai toujours trouvé que fixer un âge de fin d’activité professionnelle relevait d’un arbitraire malhonnête. En raison d’abord, de toutes les activités hautement qualifiées, autrement utiles que bien des métiers estampillés, tels que Directeur, Comptable, Magasinier, Chef de service, Conseiller (voir la fine équipe du monde de Mrozek) ne donnant pourtant droit à aucune reconnaissance sociale. Je pense, pour l’essentiel, aux mères et aux grands-mères qui vivent à l’ombre des conjoints, des enfants et des petits-enfants.
Je ne saisis pas bien l’équivalence entre la retraite d’un sportif de haut-niveau, celle d’un éboueur ou d’une esclave du Bengladesh, ou encore celle d’un petit agriculteur, et celles des salariés des Administrations. Certains d’entre eux auraient d’ailleurs bien voulu prolonger mais il leur est fait savoir qu’ils doivent abandonner la place, même s’ils pourraient faire bénéficier encore longtemps la Collectivité des compétences forgées par l’expérience.
Quoiqu’il en soit, et même si la décision de poursuivre me pénalise au niveau de la retraite effectivement versée, il devrait appartenir à chacun de choisir le moment de son pas de côté définitif.
Pour ce qui me concerne, j’assimile la retraite à une mort sociale, à une mort intellectuelle, à une mort relationnelle.
Je joue déjà les utilités, à mes heures, au sein de ma famille, avec modération et plaisir, par souci d’égalité et d’équité. Je n’entends pas faire plus.
Pour le moment, je me sais utile et je n’ai pas envie de cesser de l’être.
Mon organisation professionnelle, telle que je l’ai mise en place, facilite et justifie mon activité intellectuelle et je n’ai pas envie de l’interrompre.
J’ai toujours autant de plaisir à découvrir de nouvelles personnes, de nouveaux contextes, de nouvelles problématiques. J’ai toujours autant de plaisir à passer devant un écran de TV éteint. Et je n’ai pas envie que cela cesse.
Le monde tel qu’il est ne me convient pas du tout, mais ma mise en indisponibilité ne le rendrait pas plus attractif. Je n’ai pas envie de porter des œillères.
Certains ont dit, judicieusement, qu’ils aimeraient prendre leurs années de retraite, avant la période professionnelle fixée, pour en jouir en pleine possession de leurs moyens. D’autres défendent l’idée que le travail obligatoire (STO) ne devrait pas s’imposer, à l’époque de nos merveilleuses inventions, et plaident pour le droit sinon à la paresse continue (qui demande un effort), du moins aux activités choisies, plutôt qu’aux bullshit jobs. On peut éprouver une inhibition à la perspective de devenir des assistants de robots, même en sachant utiliser l’Intelligence artificielle.
Un des mes patients m’avait déclaré, alors qu’il n’en avait pas fini avec ses années d’artisan ébéniste : « Je prends ma retraite de l’alcool. » Du point de vue des addictions, il n’est jamais trop tôt pour prendre sa retraite.
Je crois savoir adapter mes envies à mes capacités et à mes libertés résiduelles. Jusqu’ici, donc tout va bien, malgré le néolibéralisme, les idéologies dominantes, la bureaucratie numérique, le culte de l’agent, les addictions en tout genre, la fièvre de la consommation et les nombreuses pannes d’intelligence qui s’observent.
Enfin, j’ai appris que les parties prennent parfois tout leur sens au cours des arrêts de jeu. Je tente le coup. Pas de retraite, donc, à ce jour !
Comment vivez-vous la notion de retraite ?