Lundi 25 février 2013
La conférence récente d’Edgar Morin m’a donné l’idée de ce thème qui s’inscrit dans la préoccupation du livre à écrire sur « Les représentations de l’alcoolique ».
Le compte rendu de la conférence de Morin « Derrière l’humanisme, l’humain » me dispense de m’attarder sur les distinctions établies pour évoquer ce qui fait l’humain, dans le souci de le caractériser au sein de l’espèce animale.
Le sens de deux mots est important à comprendre : épistémologie, paradigmologie.
Logos, le mot grec peut se comprendre comme ‘discours’ ou comme ‘théorie’. ‘Epistème’ a un sens équivalent de connaissance. Donc, l’épistémologie est la discipline visant à comprendre la formation et l’organisation des connaissances. Elle représente l’effort d’examiner de façon critique de ce qui est donné comme vrai par n’importe quelle source de connaissances, tout spécialement les disciplines qui s’affirment scientifiques, c’est-à-dire déduites de la compréhension du réel, capables donc de le représenter, de le reproduire et de le modifier.
L’épistémologie correspond à un effort de détachement et de déconstruction de ce qui est donné pour vrai à un moment donné par l’opinion, les apparences, une science, une culture.
Elle est partie intégrante d’une aptitude de l’humain que l’on peut appeler ‘l’esprit critique’− si on a une sensibilité sceptique − ou ‘discernement’ − si on admet de façon plus optimiste que l’intuition peut précéder l’épreuve des faits ou l’expérience immédiate.
Bachelard a contribué à clarifier le mode de production des connaissances scientifiques. Ainsi, il affirme : « Le réel n’est jamais ce que l’on pourrait croire, il est toujours ce qu’on aurait dû penser ». La science, ajoute-t-il s’oppose formellement à l’opinion : « l’opinion ne pense pas, elle traduit des besoins en connaissances ». L’esprit scientifique est ainsi autorisé à remettre en cause ce qui a déjà affirmé comme vrai. Pour lui, la connaissance est une longue suite de certitudes établies puis déconstruites. La science se rapproche de la vérité à la suite d’une « succession d’erreurs et d’errances surmontées ». Les processus d’élaboration de la connaissance scientifique connaissent, selon Thomas Kuhn, des périodes de stabilité relative et de changements plus rapides, après une découverte ou l’édification d’une nouvelle théorie. Il n’empêche que l’effort d’objectivité ou d’objectivation de la démarche scientifique est perturbé en permanence par la subjectivité individuelle et collective des humains, ce que Bachelard qualifie de besoins. J’ajoute que le degré de scientificité d’une population ou d’une civilisation ne progresse pas de façon linéaire. L’esprit scientifique est porteur de sa propre fin par les abus et dérapages qu’il finit invariablement par induire. Il est toujours menacé de régression en opinions et dogmes.
Paradigme signe, en grec, modèle. Le paradigme est une représentation cohérente, admise par une communauté, d’une réalité complexe. La paradigmologie serait donc une étude des représentations du monde et, plus modestement, une étude des modèles proposés pour comprendre une réalité et la transformer.
Thomas Kuhn a ainsi défini le paradigme scientifique.
Il correspond à :
- un ensemble d’observations et de faits avérés,
- un ensemble de questions en relation avec le problème, questions auxquelles il faut apporter des réponses pertinentes,
- une méthodologie qui permet d’aborder fructueusement ces questions,
- des critères d’interprétation des résultats obtenus.
Kuhn préfère le terme de ‘matrice disciplinaire’ à celui de paradigme. Pour ma part, je préfère celui de ‘grille de lecture’. Pour lui, « le paradigme est un cadre qui définit les problèmes et les méthodes légitimes, et qui permet une plus grande efficacité de la recherche ». Il insiste sur la création d’un langage commun qui ordonne la réflexion, les travaux et leur diffusion.
Certains se demanderont pourquoi se compliquer ainsi la pensée. Ces efforts de prise de recul sont indispensables à une approche féconde de la problématique alcoolique.
Pour en revenir au thème du jour : l’homo addictus est une expression qui complète et remet en cause d’autres expressions admises pour comprendre l’humain : homo faber, mythologicus, ubris, sapiens, economicus…
L’expression incite à considérer tout humain, et donc tout alcoolique, sous l’angle de la caractéristique ‘addictive’. Elle conduit à s’interroger sur la signification des addictions et sur les réponses qu’on peut leur apporter pour améliorer le bien-être des individus chez lesquels l’addiction a pris le pas sur les autres caractéristiques de l’humain.
Voyez-vous l’homo addictus comme un modèle humain propre à notre civilisation ? De quels modèles procède-t-il ? Comment revenir à un modèle plus ‘éclectique’ de l’humain ?