Projet de roman de gare

Lundi 13 janvier 2104

Je crois, à un moment où la conclusion se rapproche, être aussi peu accessible à la dépression qu’à la solution addictive et, pour l’heure, mon corps reste paisible. La préservation de mon équilibre me demande d’éviter consciemment le clivage par le dialogue intérieur et par mes conversations de terrasse de café. C’est un peu la tournure que prend, quelquefois, une consultation quand l’alcool est très loin et que le moment, qui intervient en fin de journée, correspond à un échange sans précaution particulière.

Les alcooliques impétinents – j’emprunte le mot à Camus, un souvenir scolaire de La Chute – me fatiguent : leur aveuglement est du même ordre que celui d’une Société qui se ment et pratique le déni, avec opiniâtreté. J’éprouve de la tendresse à leur égard mais je refuse d’être compatissant. Je n’ai pas envie d’endosser l’habit du sauveteur. Nous l’avons assez dénoncé dans notre groupe pour m’affubler de cette guenille. Voici des années que je murmure qu’il se met en place un ‘‘darwinisme sociétal’’ aux alcooliques qui me semblent manifester une lueur de lucidité. La plupart se racontent des histoires, se rassurent comme ils peuvent, s’indignent même, sur un mouvement d’humeur. Ils se rangent ensuite docilement en colonnes ou en bandes et montent dans le train qui les conduit vers leur destination finale.

Les gens sont piégés par les stéréotypes. Ils se réfugient dans l’événementiel ou restent dans le descriptif documenté d’une époque qu’ils croient révolue, alors qu’elle se répète, analogiquement, sous leurs yeux. Donc, je ne veux pas de la guenille d’un sauveteur et encore moins de l’uniforme d’un Kapo. Je n’ai pas envie de participer à une extermination pour le temps qui me reste.

J’ai plutôt envie de converser à la façon du juge impétinent de Camus à la terrasse d’un café. Je n’irai pas à Amsterdam, pas tout de suite. Je finirai bien ce dialogue, en solitaire, dans le bistrot le plus proche du Houtgracht, après une visite dans la maison-musée de Spinoza à Rijnburg. Plutôt que les brumes d’Ecosse et la Région des Lacs, puisque j’ai déjà fait halte à Chawton, peut-être sera-t-il temps de faire un tour en Sardaigne et à vélo, à Ghilarza, et prendre conscience, en quittant la maison natale de Gramsci, de la dangerosité du volontarisme en politique ? À tout prendre, au vu de la pratique de Spinoza, j’adopte sa devise: Caute. Prudemment. La solution est de se risquer prudemment.

Comment pouvez-vous illustrer ce titre : « Aujourd’hui, on (s’) élimine » ?

Vous sentez-vous en situation d’être éliminé ou de vous éliminer vous-même ? Est-ce que vous êtes prêt à éliminer vous-même, telle ou telle chose qui, décidément, ne vous convient pas ? Etes-vous prêt à la prudence, dans cet exercice ?