Lundi 1er septembre 2014
Le suivi d’une patiente me fait vous proposer ce thème de réflexion. Un autre élément m’incite à vous le proposer, ce sont les incitations permanentes à la « pensée positive », sans que l’on nous dise comment y accéder.
Étant plutôt − et sans effort du côté du pessimisme – je voudrais m’attarder quelques instants sur la pensée positive. Le plus bel exemple cinématographique qui me vient à l’esprit est le personnage de Sonny, le directeur du très délabré « Indian Palace ». Je peux tenter, à partir de son observation, de distinguer ce qui se rattache à la « pensée positive». J’observe que Sonny est jeune, mais d’autres personnages sont vieux. Pourtant, ils trouvent ou retrouvent une pensée positive, fondée sur l’utilité, le sens, le sentiment d’être apprécié et celui d’appartenir à un groupe, de participer à un projet de se relier: je fais là, allusion au personnage superbement joué par Maggie Smith). Sonny se sent héritier légitime de son grand hôtel, qui a appartenu à son père disparu. Son projet de remise à neuf, en l’offrant à des personnes retraitées, est ambitieux, plutôt altruiste. De surcroît, Sonny est amoureux. Il a envie de prouver sa valeur, face à sa mère qui l’assimile à son défunt père, apparemment « poète » et mauvais gestionnaire, face aussi à sa jolie fiancée. Il est, d’une certaine manière, en démarche de repositionnement social. Il a appartenu à une fraction sociale possédante. Il n’a pas l’ambition destructrice d’un « ambitieux ». Le tout est de persuader son banquier de l’intérêt de prêter de l’argent pour la rénovation de l’établissement. Sonny a besoin de rêver et cette caractéristique adaptative qu’il met en jeu est à l’origine de sa célèbre formule : « Tout est bien qui finit bien (un déni caractérisé), donc si cela va mal, c’est que l’histoire n’est pas finie ». Dernier point : Sonny ne critique personne, ne déteste personne. Apparemment, le découragement n’a pas de prise sur lui. Certains parleraient d’inconscience. Son intelligence est essentiellement pratique, tournée vers les solutions. Il parle beaucoup et parfois pour ne rien dire, sinon pour s’auto-persuader et créer une bonne ambiance, à l’image des clowns. À l’évidence, Sonny ne manque pas d’élan vital. La pensée positive ne correspond pas à l’image du verre à moitié plein ou vide. Elle est dynamique.
Les caractéristiques de la pensée positive étant rappelées, quelles sont celles de la pensée négative et existe-t-il une position moyenne ?
Une des caractéristiques de la pensée négative réside dans la généralisation et la perception de l’immuabilité des choses : « Qui a bu, boira ».
Un autre trait est de ne saisir que ce qui fait problème en n’envisageant comme solution ce qui causerait encore plus de difficulté. Elle refuse de prendre en compte l’ambivalence et d’en jouer dans le bon sens.
Une position de vie négative peut reposer sur le principe qu’il faudrait que la réalité soit conforme à nos attentes ou à nos besoins. Il suffit de placer la barre trop haut la déception sera forcément au rendez-vous. La pensée négative se nourrirait alors d’une capacité à développer des anticipations soit « parfaites » soit « désastreuses ».
La pensée négative semble prendre son énergie dans une sorte de masochisme primaire. Elle est excessivement fixée sur sa propre image, conduisant à souffrir de toute comparaison, en se sentant constamment dévalorisée par rapport à un idéal inaccessible.
La pensée négative semble faire une place disproportionnée aux émotions perturbantes ou négatives. Le moindre événement suffit à déclencher l’émotion négative. Le sujet ne dispose d’aucun recul émotionnel. Il ne semble pas être en mesure de relativiser.
La pensée négative paraît nourrie par la position dépressive, le sentiment d’abandon, la non-reconnaissance de soi par l’autre, par l’intolérance aux frustrations, par la désespérance.
Le sujet ne se contente pas de subir les événements en privilégiant ce qui est douloureux. Il va, avec une belle opiniâtreté, au-devant d’eux, justifiant la superbe formule deWazlawick « Faites vous-même votre malheur ». Il n’a pas son pareil pour rater les opportunités ou transformer une ouverture en fermeture. L’alcool dst un puissant allié dans ce genre d’entreprise.
Il n’y a pas de quoi se moquer. Une personne qui agit ainsi contre elle-même doit prendre conscience de ce qui intervient comme éléments du passé pour constituer une position de vie aussi irrationnelle : l’insécurité, la dévalorisation, les troubles de l’humeur de son environnement, les traumas subis/transmis, une pensée métaphysique, reposant sur le postulat d’un âge d’or perdu, déterminé par la venue au monde.
Un postulat de la relation soignante repose peut-être sur la complémentarité et la réciprocité. De mon point de vue, le soignant doit être capable d’éprouver ce que la personne mal dans sa peau ressent mais il doit avoir en lui assez de ressources et d’expériences positives pour aider le patient à exprimer d’autres ressorts visant à l’apaiser et à l’aider à trouver du sens à l’existence.
L’être souffrant doit prendre conscience de sa capacité à combler une partie du manque-à-être de l’autre, quel qu’il soit, y compris le soignant.
Petit ccourrier électronique (Un patient connu s’est sectionné volontairement une partie du poignet dont un tendon qui l’a conduit en chirurgie. Je connais le père qui m’envoie ce courrier)
Bonjour Monsieur Y
Vous avez fait ce qu’il fallait. Z est dans un état de solitude et de désespérance devant lequel vous êtes logiquement impuissant. Il faudrait peut-être que le responsable du service chirurgical se mette en rapport avec moi : T***. Il serait peut-être bon qu’il bénéficie d’un séjour prolongé de quelques semaines. Je pense à une structure avec laquelle nous travaillons, au château de ***. Il suffit que le patient soit sevré et envoie un dossier d’admission, qui est téléchargeable. Y*** est dans un repli douloureux sentiment d’indignité et de honte, qui l’empêche sans doute de faire l’effort de venir augroupe. Il ne supporteplus sa solitude affective. Il a un vécu facilement paranoïaque, amplifié par les prises d’alcool. L’acte auto-agressif procure parfois un soulagement en évacuant un peu de culpabilité sur le mode de l’autopunition. Transmettez-lui mes amitiés et ma proposition.
(Je protège mon téléphone, c’est ma façon d’être en vacances, en restant au bureau)
Partant de ces constatations ou hypothèses, comment concevoir une pensée équilibrée, pessimiste/optimiste ?