Lundi 28 Mars 2016
Eric Berne, né Bernstein (1910-1970), fondateur de l’analyse transactionnelle, est incontestablement un psychiatre original, qui a contribué à renouveler l’approche des patients en souffrance, à une période où la psychanalyse était la norme du soin psychique. La métaphore du « martien » (1967), auquel il s’identifiait, en dit long sur sa façon de travailler : l’écoute, l’observation, des raccourcis imagés et humoristiques, un langage compréhensible, l’adoption d’un point de vue spontanément distinct voire opposé à celui faisant force de loi, la discussion de ce point de vue nouveau, une forme d’impertinence, frôlant la désinvolture, le constat des similitudes et des analogies dégagées de l’observation, la préoccupation sociale, le souci de la rigueur dans l’approche du patient, compatible avec l’inventivité se dégageant des échanges, l’ambition d’obtenir de bons résultats…
Berne a distingué dans les « instances du Moi » trois formes d’enfant : l’enfant spontané, l’enfant rebelle, l’enfant adapté. Nous pouvons, sans grande difficulté, les repérer en nous et autour de nous.
Ce qui rend une personne agréable et épanouie est qu’elle sache exprimer, selon les moments, son enfant spontané (observation, intuition, absence de détours), son enfant rebelle (refus de l’autorité, refus de la norme), son enfant adapté (capacité de s’acclimater à son milieu, à y trouver sa place, en gardant son originalité). Nous savons que l’environnement favorise la spontanéité sans la prudence, la rébellion comme étape de marginalisation, de normalisation, de la soumission (et non comme préambule à une démarche de remise en question et de résistance), et la sur-adaptation (dont l’échec conduit au burn out, à la dépression et même au suicide.
L’arrêt de l’alcool − dont l’utilité est mise en doute par les nouveaux dogmatiques de l’addictologie (y compris pour la population qui a développé une dépendance et/ou des comportements préjudiciables à répétition par les abus et les pertes de contrôle) − facilite l’ouverture à une meilleure connaissance de soi et de son environnement, à une mise en jeu plus affirmée et plus harmonieuse des Instances du Moi juvéniles.
Avez-vous conscience que les discussions sur la consommation festive, la consommation de dépendance, la consommation compulsive, la consommation gérée, la consommation modérée, la peur du retour de l’alcool détournent de ce qui devrait vous mobiliser : la meilleure vie possible ?
Comment analysez-vous pour vous ces trois instances du Moi, distinguez-vous leurs bons et mauvais côtés ?
Depuis Paris
L’entredeux d’une journée de la SFA m’a donné la possibilité de réfléchir sur le thème de ce lundi de Pâques.
J’ai essayé de répondre aux deux questions.
La meilleure vie possible.
Curieusement, la notion a émergé à plusieurs reprises de cette matinée « scientifique », sous des formes proches. Les préoccupations normatives ou de mises en garde n’entrainent pas l’adhésion quand il s’agit d’aller vers les jeunes – les 14/25 ans −. La question du sens montre, si on peut dire le bout de son nez.
Un préalable semble présider à la relation thérapeutique en termes d’objectif : aller vers la « meilleure vie possible ».
Que puis-je en dire pour moi, comme individu et comme soignant porteur impénitent d’un projet ?
Mon premier travail, souvent renouvelé, est d’examiner le « champ des possibles ». Soi-dit en passant, combien de personnes réfléchissent en se posant cette question ? Le champ des possibles exige un effort de réflexion sur la situation, telle qu’elle est et qu’elle que je souhaiterais qu’elle soit.
Le temps disponible fait, incontestablement, intervenir « l’espérance de vie », y compris professionnelle, mais comme il s’agit en partie d’une question sans réponse, le plus simple est de se centrer sur ses « 24 heures ».
Il s’agit ensuite d’évaluer, à partir de mes désirs clarifiés, ce qui me plaît ou qui me plairait, ce qui est à ma portée.
J’ai impérativement ensuite à prendre en compte mon univers personnel et relationnel. Celui-ci se caractérise par un certain nombre de contraintes, mes limites et mon environnement familial, professionnel, social. Ma marge de manœuvre est étroitement dépendante de ces contraintes et ces étayages, forts ou faibles.
Je dispose d’une marge appréciable de liberté. Par exemple, je peux dégager du temps pour des moments solitaires ou partagés, avec des contenus différents qui me correspondent. Je peux écarter le temps aliéné par les infos et les connaissances inutiles. Il m’est possible d’éviter ou de limiter les présences désagréables ou parasites, en premier lieu tout ce qui tourne à l’addiction, sous quelle que forme qu’elle soit : produits, activités compulsives, désir insatiable de complétude ou de certitudes. Bien des plaisirs me sont immédiatement accessibles. J’ai à désirer ceux qui sont à ma portée et à ignorer les autres. Je peux toujours rêver pour rêver, rêver à ce qui me plairait – un objectif, un projet et travailler à sa réalisation. La recherche d’immédiateté risque d’empêcher le temps d’élaboration propre au désir.
Enfin, dernier point mais non le moindre, c’est strictement à moi qu’appartient ma définition de la meilleure vie possible.
Les enfants que j’abrite
Le thème justifie qu’on s’attarde sur les significations de cette distinction entre enfant spontané, rebelle, adapté. Il ne s’agit pas d’une évolution de gauche à droite, ou d’un état qui serait meilleur qu’un autre. Chacun, de mon point de vue, a de bons et de moins bons aspects. Le souci d’abriter est légitime. Comme « adulte », je puis être un bon parent sécurisant et attentif pour ces enfants dont j’ai la charge. Pas question de leur porter préjudice ou de les orienter vers de fausses routes, vers des chemins où ils se perdraient.
J’ai évidemment un faible pour l’enfant spontané. Que peut-on entendre par là ?
Je lui attribue des qualités de sincérité, d’authenticité, de créativité, en un mot, de naturel. Avec l’influence de « l’adulte », dans la mesure où le temps et les expériences de vie n’ont pas faussé le jugement de ce dernier, ce naturel sensible devient intuition, raccourci pour une action juste et appropriée. Dans l’éventualité où le contexte ne s’y prête pas, l’enfant spontané est mis en veilleuse. Il peut devenir temporairement silencieux, invisible. L’enfant spontané sert les relations vraies, soit avec concision et discrétion, tel un sourire, soit de façon plus forte et explicite. Le moins bon côté de l’enfant spontané serait l’impulsivité, le manque de finesse, l’imprudence. L’enfant spontané gagne à la présence d’un « parent », c’est-à-dire d’une juste appréciation des relations et des contextes pour se protéger, d’un « adulte » qui lui permette d’évaluer les réalités.
L’enfant rebelle ne se caractérise pas nécessaire par de l’immaturité, du passage à l’acte, de l’instabilité. L’enfant rebelle est quelqu’un qui refuse la soumission par l’effet de la force, de l’habitude, du conditionnement, de l’intimidation. Associé avec « l’adulte », il se charge de faire vivre l’esprit critique et impose son éthique à la morale signifié par ses groupes d’appartenance et les milieux où il vit. L’enfant rebelle est le garant des libertés de l’individu. Le résistant intègre l’enfant rebelle.
Il ne doit pas exister d’ambiguïté sur l’enfant adapté. Mérite ce qualificatif, celui qui est en adéquation entre ce qu’il est – ce qui suppose de se connaître et d’identifier ses désirs ou aspirations, tout en tenant compte des réalités et des usages. L’enfant adapté est celui qui s’accepte tel qu’il est et qui, tel qu’il est, s’attache à vivre et survivre. Il ne doit pas être confondu avec la copie conforme, le faux-self.
Les addictions sont des poisons pour les enfants que nous portons en nous. Écarter les addictions permet, avec le temps, de renaître à soi-même, en faisant jouer, selon les contextes un ou plusieurs enfants à la fois, en bénéficiant de la bienveillante attention de son « parent » ! Une autre fois peut-être, nous parlerons des parents.