Lundi 04 Avril 2016
Dans son magistral « Discours de la servitude volontaire », publié en 1576, alors qu’il avait 18 ans, l’ami de Montaigne, Etienne de La Boétie, se livre à une remarquable analyse du consentement à la soumission, des relations maître/esclave, qui va bien au-delà des seuls aspects politiques.
Séverine Auffret a traduit le texte intégral en français moderne, car la langue dans laquelle fut rédigé l’opuscule nous est devenue étrangère. La lecture du Discours (3 € aux éditions des Mille et une nuits) en devient simple et agréable.
La Boétie distingue trois sortes de tyran, par effet :
− de transmission héréditaire,
− de la violence et des armes,
− d’un vote démocratique.
Un peu plus loin, il précise que le tyran peut prendre l’allure d’un aimable personnage, soucieux de plaire pour mieux abuser. Elu, il considère le peuple « comme un taureau à dompter », à soumettre par la persuasion ou la contrainte légitime (puisque c’est lui qui est à l’origine des lois et de leur interprétation). Les conquérants considèrent plutôt le peuple « comme leur proie, les successeurs comme un troupeau d’esclaves qui leur appartient par nature ».
Si nous observons, à présent, le phénomène addictif, nous pouvons dégager des analogies avec la tyrannie du Pouvoir. Il y a souvent de la transmission héréditaire dans la problématique alcoolique, la problématique alcoolique fait souvent suite à un climat d’insécurité et de violences diverses. La dépendance alcoolique procède également d’une libre adhésion…
« Pour que les hommes se laissent assujettir, ajoute-t-il, il faut , de deux choses l’une : où qu’ils y soient contraints, ou qu’ils soient trompés ».
« Il ajoute « s’habituer au poison, celui de nous apprendre à avaler le venin de la servitude sans le trouver amer ».
En faveur de l’accompagnement actif : « Si bon que soit le naturel, il se perd s’il n’est entretenu, et l’habitude nous forme toujours à sa manière ».
« On ne regrette jamais ce qu’on n’a jamais eu »… « Ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude » ».
« …les livres et la pensée donnent plus que tout autre chose aux hommes le sentiment de leur dignité » et la haine de la tyrannie ».
« Les tyrans enlèvent toute liberté de faire, de parler et presque de penser ».
« Les mauvais rois prennent à leur service des étrangers mercenaires parce qu’ils n’osent plus donner les armes à leurs sujets, qu’ils ont maltraités ».
« Le penchant naturel du peuple ignorant ? : il est soupçonneux envers celui qui l’aime et confiant envers celui qui le trompe ».
« … les jeux, les farces, les gladiateurs, les médailles et autres drogues de cette espèce… sont les appas de la servitude ».
« …Les peuples abrutis trouvant beaux tous ces passe-temps, s’habituaient aussi niaisement.. ».
« Les tyrans se sont efforcés d’habituer le peuple, non seulement à l’obéissance et à la servitude, mais encore à leur dévotion ».
Et la dernière citation, pour la route :
« ..dès qu’un roi s’est déclaré tyran, toute la lie du royaume, je ne dis pas un tas de petits friponneaux et de faquins qui ne peuvent faire ni bien ni mal, mais ceux qui sont possédés d’une avidité notable se groupent autour de lui et le soutiennent pour avoir part au butin et, pour être, sous le grand tyran, autant de petits tyranneaux.
Je crois en avoir assez dit pour vous inciter à dépenser 3€.
Parlons de nos tyrans qui nous conduisent à la servitude volontaire.
Comme le dit Severine Auffret : « La tyrannie est toujours prête à se renouer dans un rapport d’emprise partiellement consenti ».
Quels moyens avez-vous trouvé pour combattre en vous la menace de la servitude, de la dépendance aliénante ?
La servitude volontaire évoque aussi bien la contrainte, l’impuissance concrète, faute de solutions, la libre adhésion, les raisonnements et les comportements qui conduisent à conforter la passivité, la pensée paresseuse, un choix de vie…
A quoi renvoie cette soumission volontaire : quelles avantages au moins à court terme apporte-t-elle ?
A un autre point de vue, quels sont nos tyrans ordinaires ?
− Les appareils d’Etat chargés de la coercition (police, fiscalité, règlements contraignants)
− Les appareils d’Etat chargés du contrôle et de l’anesthésie sociale, et en premier lieu les medias de masse
− Les organisations patronales et syndicales, les appareils idéologiques « représentatifs », confessionnels et laïques
− L’influence des « minorités agissantes » qui imposent leur point de vue par l’intimidation ou la violence caractérisée
− L’organisation du mode du travail actuel, du mode de vie urbain
− Le système de fraude et de passe-droits qui dénature l’esprit des lois
− Les violences familiales tant celles émanant des adultes que parfois des « enfants »…
− Nos forces pulsionnelles, nos « addictions », la domestication de notre esprit critique et de nos envies d’entreprendre
Cette petite liste est juste-là pour indiquer combien la liberté est un exercice difficile…