Lundi 18 Avril 2016

La revue « Santé mentale » dans son numéro 2006 de mars 2016 propose un dossier sur l’humour dans les soins. Il n’est pas fait état de l’humour en alcoologie. Nous pouvons tenter de corriger partiellement cette lacune.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les personnes alcooliques ne manquent pas d’humour. Il n’est pas besoin de se référer aux « brèves de comptoir » pour en être persuadé. Le quotidien des relations cliniques en apporte en abondance, mettant souvent au défi les soignants (non alcooliques) ou les proches de faire de même.

L’humour est difficilement définissable. Il peut être diversement apprécié selon l’émetteur et le récepteur. Il se distingue pourtant de la moquerie ou de la raillerie qui prennent l’autre pour cible. Son mode d’expression est le langage, la parole principalement. Il a donc sa place dans un groupe de parole. Il est intéressant d’apprécier en quoi il peut avoir une valeur soignante, réparatrice ou libératrice.

Thomas – à ne pas confondre avec le saint difficile à convaincre – savait le manier comme alcoolique − « Quand t’es cuit, t’es pas cru » −, mettant en valeur la force comique du double sens et de l’autodérision. Il m’interrogeait quelquefois sur ma douce manie d’associer la problématique alcoolique à toute sorte de références qui s’en distinguent catégoriquement. De mon point de vue, ces oppositions servent, par la tension crée, à éveiller l’esprit critique, à sortir des « rails du penser conforme », à explorer des ressources thérapeutiques autres que celles données par la science médicale.

Les alcooliques ont de l’humour et pourtant l’obsession de boire en est singulièrement dépourvue. La référence aux spiritueux ou à l’esprit du vin − qui se définit comme un alcool produit de la distillation du vin ou de tout autre produit fermenté − se confond avec des enseignes commerciales. La progression de l’alcolo-dépendance traduit/génère des souffrances, des drames, des traumas qui prêtent de moins en moins à sourire. L’alcoologie et l’addictologie officielles font peu de place à l’humour. Le discours et les images de prévention le pourchassent avec la même ferveur que l’Eglise du Moyen Age condamnait le rire, d’essence diabolique. Les images de la publicité par leur pouvoir de séduction sont condamnées par les préventologues qui les remplacent, avec la délicatesse dont ils sont capables, par « Le tabac tue » et les images morbides de cancer du poumon. Le cinéma, à propos d’alcoolisme, donne souvent dans le mélodrame édifiant. Heureusement, certains réalisateurs ont une vision plus incisive − Woody Allen et Blue Jasmine −, réaliste et descriptive − Le Betty de Chabrol ou le Poison de Billy Wilder – ou plus bienveillante et sensible – Un singe en hiver, La chevauchée fantastique, A propos de Mary

Je vois l’humour comme une rupture de continuité logique pour évacuer une tension mentale, une volonté d’échapper à un ordre pesant, ennuyeux ou carrément insupportable, le choix de ne pas se prendre « excessivement au sérieux ».

L’humour suppose une bonne connaissance de la langue, et de la culture dont elle est l’expression. Il est relativement facile de distinguer l’humour juif –avec sa position de supériorité intellectuelle plus ou moins manifeste (L’histoire des trois rabbins dans le taxi ou encore le sous-titre du film Le train de vie de Radu Milailleanu), l’humour anglais qui n’a pas son pareil pour mettre à distance les émotions et les fâcheux, l’humour espagnol qui frôle le tragique, l’humour italien qui s’en prend à l’emphase, l’humour français qui a du mal à se situer, en dépit d’illustres représentants, glissant parfois dans le mauvais goût ou l’ironie féroce : « Il est bon d’être charitable, le point est de savoir avec qui ». Il est plus souvent question d’histoires belges que d’humour belge. Pourtant, Bruxelles est la capitale européenne et historique de la BD et l’humour de Geluk est une évidence. L’humour a-t-on dit est la « politesse du désespoir ». Chaque peuple, par l’humour, soigne un de ses défauts collectifs les plus marquants. Un de nos caractéristiques est peut-être notre difficulté de positionnement face à la Morale. Les terroristes ont-ils de l’humour ? Certains hommes et femmes politiques si prévisibles dans les medias en ont en surabondance quand ils retrouvent des relations non exposées.

L’humour constitue une transgression douce, une arme défensive / offensive. Il peut être considéré comme une violence que s’accordent les non-violents, les gentils qui ne sont pas dupes. Il est le reflet de notre personnalité.

En définitive, l’humour, manifestation esthétique du langage, n’est pas séparable de l’intention qui le suscite.

À quelle(s) forme(s) d’humour êtes-vous sensible ?

Pensez-vous que l’humour soit un outil de la relation de soin ?

De quelle manière et pour quelles finalités ?