27 Juin 2016

J’ai choisi de vous présenter un des animateurs de la soirée du mardi 13 septembre sur le « Risque » - mon second petit-fils Edouard – par le biais du texte de l’épreuve de philosophie qu’il a choisi de commenter pour son bac de scientifique. Voici ce texte :

« Je n’ignore pas que beaucoup ont pensé et pensent encore que les choses du monde sont gouvernées par Dieu et par la fortune, et que les hommes, malgré leur sagesse, ne peuvent les modifier, et n’y apporter même aucun remède. En conséquence de quoi, on pourrait penser qu’il ne vaut pas la peine de se fatiguer et qu’il faut laisser gouverner le destin. Cette opinion a eu, à notre époque, un certain crédit du fait des bouleversements que l’on a pu voir, et que l’on voit encore quotidiennement, et que personne n’aurait pu prédire. J’ai moi-même été tenté en certaines circonstances de penser de cette manière.

Néanmoins, afin que notre libre arbitre ne soit pas complètement anéanti, j’estime que la fortune peut déterminer la moitié de nos actions mais que pour l’autre moitié les événements dépendent de nous. Je compare la fortune à l’un de ces fleuves dévastateurs qui, quand ils se mettent en colère, inondent les plaines, détruisent les arbres et édifices, enlèvent la terre d’un endroit et la poussent vers un autre. Chacun fuit devant eux et tout le monde cède à la fureur des eaux sans pouvoir leur opposer la moindre résistance. Bien que les choses se déroulent ainsi, il n’en reste pas moins que les hommes ont la possibilité, pendant les périodes de calme, de se prémunir en préparant des abris et en bâtissant des digues de façon à ce que, si le niveau des eaux devient menaçant, celles-ci convergent vers des canaux et ne deviennent pas déchaînées et nuisibles. Il en va de même pour la fortune : elle montre toute sa puissance là où aucune vertu n’a été mobilisée pour lui résister et tourne ses assauts là où il n’y a ni abris ni digues pour la contenir. »

Le commentaire de texte n’existait pas quand je me suis risqué, sans respecter les règles de la dissertation – première erreur −, à répondre au sujet qui nous était donné : « Sommes-nous responsables de nos passions ? », à partir d’une citation d’Henri Bergson. Mon indiscipline avait failli me coûter très cher. Je mesure aujourd’hui combien je disposais de peu d’arguments pour donner une opinion pertinente. Néanmoins, l’idée-force que j’exprimais épousait sans le savoir la logique addictive à laquelle, quelques dizaines d’années plus tard, je décidais de répondre à ma manière. Mon argument – excessivement tranché − seconde erreur − était le suivant : la passion est un phénomène qui se manifeste au terme d’un mouvement lent et insensible de construction inconsciente. Une fois en place, elle organise et instrumentalise les ressources de l’individu pour se développer et s’imposer dans la durée. Je crois me souvenir que j’avais indiqué que cette destinée pouvait se porter sur divers ‘‘objets’’ et qu’elle n’était pas à la portée de tous. Le résultat : 8/20. Coefficient 8 ! J’étais déjà mis à l’index par l’Autorité.

−        Des remarques sur la construction du discours

Le style est chaloupé : « Je n’ignore pas que beaucoup ont pensé et pensent encore ». Nous pouvons en savourer l’ironie. Machiavel estime naturel que nos opinions évoluent à partir de ce qui nous est enseigné sous l’effet de l’expérience et nos capacité de réflexion, à moins que nous ne soyons des girouettes, changeant de points de vue en fonction des influences et des modes ou, inversement, qu’ils perpétuent sur le mode d’un copier-coller, ce qui leur a été donné pour vrai, au commencement de leur vie.

Machiavel emploie des mots appartenant, malgré les apparences, au même champ sémantique : Dieu, La Fortune, la Destinée. Trois mots pour caractériser notre incapacité à prévoir l’avenir. Les hommes habillent ainsi leur ignorance avec des Majuscules. Spinoza assimile Dieu à la Nature. La Science a fourni d’innombrables éclaircissements sur les phénomènes naturels sans pour autant avoir prise sur eux. Qui peut prévenir le déplacement des plaques tectoniques ou les changements climatiques, sinon Dieu ? La Fortune se comprend comme le hasard, la chance, les opportunités mais aussi le malheur – des « revers de fortune ». Sur ce point aussi, l’homme semble bien démuni. Avant même notre naissance, les chances – en termes d’espérance de vie et d’épanouissement personnel − sont inégales, selon notre appartenance sociale, la configuration familiale, les effets de transmission génétique ou culturelle, les périodes de l’Histoire. L’aptitude à saisir une opportunité suppose désir, appétit de vivre, caractère. Le malheur est précisément aussi prévisible que la foudre d’un orage. La Destinée est un grand mot pour évoquer les mystères du déterminisme qui va de la relation de causalité directe – une cause = un effet – à l’aléatoire des « battements des ailes du papillon ».

−        Exercice du « libre-arbitre », éloge de la prévoyance

La métaphore du « fleuve dévastateur » sert à introduire la part de liberté dont nous pouvons faire usage par temps calme pour prévenir les catastrophes, par l’exercice de l’esprit critique et l’effort d’anticipation. « Gouverner, c’est prévoir », selon Emile de Girardin. Affirmation complétée par l’opinion de Churchill : c’est aussi être capable d’expliquer, après coup, pourquoi les prévisions ont échoué. Par cette formule humoristique, Churchill souligne qu’il y a quelque prétention de la part des Pouvoirs à prévoir l’avenir. La citation de Saint-Just  − « L’art de gouverner n’a produit que des monstres » − suggère que l’obstination à persister dans ce qui se révèle une erreur peut devenir « monstrueuse » car commandée par le dogme ou la volonté de puissance – l’hubris. Celle de Talleyrand introduit l’habileté manœuvrière, arme partagée par les forts comme par les faibles : « La meilleure façon de renverser un gouvernement, c’est d’en faire partie ». Enfin, la sentence de Richelieu qui devrait inspirer nos Maîtres et ceux qui souhaitent exercer leurs responsabilités : « Il faut écouter beaucoup et parler peu pour bien agir au gouvernement d’un Etat ». 

Sur le fond, Machiavel estime que l’homme a une part de liberté, un libre-arbitre qui peut l’aider à éviter les catastrophes et, ce qu’il ne dit pas, à induire des progrès. Nous pourrions également ajouter que l’enfer est pavé de bonnes comme de mauvaises intentions.

Notons que la culture de l’immédiateté et de l’événementiel est très éloigné de la prévoyance active.

A la lumière de l’Histoire, la conclusion est qu’il est nécessaire de travailler à accroitre son discernement et de se risquer à utiliser au mieux ses capacités de décision, sans préjuger de nos capacités à influencer véritablement notre destin et celui des autres. L’humilité et la persévérance peuvent naître de cette opinion de Machiavel entre les inconnues du déterminisme et les possibilités du volontarisme.

Quelles leçons tirez-vous pour votre problématique avec l’alcool ?

Vous pouvez jouer avec des mots : La « fortune », la « gouvernance », le libre-arbitre…